Première

MERCENAIRE

Un jeune rugbyman wallisien se paume dans le Nord. Mercenaire, surpuissan­t drame noir, beau comme un Audiard gonflé aux hormones, est passé inaperçu en salles. Rattrapage avec son réalisateu­r Sacha Wolff.

- INTERVIEW SYLVESTRE PICARD

PREMIÈRE : D’où vient l’idée du film ?

SACHA WOLFF : À l’origine, je voulais faire un court métrage sur le rugby. Je suis fan de films de boxe et j’ai toujours pensé que le rugby, c’est de la boxe en équipe. Le problème c’est que je ne me voyais pas passer deux mois avec des adolescent­s. Et puis, je suis tombé sur un article du Monde qui parlait du quotidien des sportifs étrangers en France avant de rencontrer Paki (Laurent Pakihivata­u, qui joue Abraham, l’entraîneur véreux). Tout à coup, j’avais mon sujet et mon angle. J’ai écrit une première version du script qui a obtenu un soutien financier du CNC en 2011, et j’ai pu partir en Nouvelle-Calédonie. Après cela, le montage du film a été… compliqué. J’ai porté le projet pendant six ans, dont quatre pour le scénario. Parce qu’il fallait que je l’écrive seul.

Pourquoi ?

SW : Pour trouver en moi la force de créer cette histoire au cinéma. Cela m’a demandé beaucoup de travail. Mercenaire, c’est ma vision personnell­e, de bout en bout. Quand j’en parlais à d’autres scénariste­s, je trouvais qu’ils m’amenaient vers des clichés, des trucs plus convenus, éloignés de la réalité de ce que j’avais vu là-bas. Il fallait éviter le film de gentil Blanc débarqué, qui manipule les Wallisiens. C’était comme pour le rugby : je ne voulais pas construire une dramaturgi­e sur les règles du jeu ou les résultats sportifs. Mes références, c’était Le Prix d’un homme (Lindsay Anderson, 1963) ou La Dernière Chance (John Huston, 1972).

C’est vrai que le film ressemble moins à un documentai­re sur le rugby wallisien qu’à un drame profond, quasiment mythologiq­ue…

SW : Ce n’est jamais un documentai­re, même si j’emprunte constammen­t des éléments de réel. Par exemple, il existe vraiment un tatoueur wallisien à Lourdes. Les aspects documentai­res sont là pour affirmer la fiction. Certes, il y a des comédiens non profession­nels, mais ils sont tous dans la pure compositio­n. La logique est simple au fond : chercher dans le vrai des éléments de fiction qui t’emmènent vers la mythologie. Je n’ai quasiment jamais joué au rugby. Paki était comédien mais aussi mon fixeur. Il m’a introduit dans le monde du rugby. Le vrai déclic fut l’envie très forte de filmer l’univers inexploré de Wallis. Mercenaire est le troisième film tourné là-bas, le premier en wallisien. Leur grand film, c’est L’Âme des guerriers (Lee Tamahori, 1994), mais l’univers est différent, c’est maori, c’est à 5 000 kilomètres. Je ne voulais pas faire

Mercenaire uniquement pour les spectateur­s blancs, mais pour les Wallisiens.

Mercenaire a été présenté à la Quinzaine des réalisateu­rs à Cannes et l’accueil critique fut excellent. Mais le film n’a pas vraiment rencontré son public. Vous l’expliquez comment ?

SW : On a discuté de la date de sortie avec le distribute­ur Ad Vitam, et on a choisi la plus proche de Cannes, pour pouvoir surfer sur l’effet critique dont vous parlez. C’était quand même une sortie compliquée : le film de sport ne marche pas très bien, à cause de certaines idées préconçues chez le public « art et essai ». Le titre, le genre, les acteurs de 120 kg... Additionné, tout ça faisait trop film d’action. Et ce n’était pas forcément facile à vendre. Mais Mercenaire a fait des scores dignes d’un blockbuste­r en Nouvelle- Calédonie, seulement le CNC n’a pas les chiffres des salles là-bas. Et il a aussi été acheté par Netflix en juin dernier, avec

Divines et Le Voyage au Groenland.

Quels sont les projets sur lesquels vous travaillez actuelleme­nt ?

SW : J’ai des envies très différente­s : un film politique ou un polar fantastiqu­e inspiré par le cinéma coréen comme Memories of

Murder, The Strangers, les polars de Kiyoshi Kurosawa... Mais pas un film de sport, ça c’est sûr. (Rire.)

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Sacha Wolff (en médaillon) et Toki Pilioko.
 ??  ?? Film ★★★★ • Bonus ★★★ • De Sacha Wolff • Avec Toki Pilioko, Iliana Zabeth, Laurent Pakihivata­u... • Éditeur Ad Vitam • En DVD
Film ★★★★ • Bonus ★★★ • De Sacha Wolff • Avec Toki Pilioko, Iliana Zabeth, Laurent Pakihivata­u... • Éditeur Ad Vitam • En DVD
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