VAIANA – LA LÉGENDE DU BOUT DU MONDE
John Musker et Ron Clements signent un chef-d’oeuvre à la poésie terrassante qui lance le studio Disney dans le nouveau millénaire. Encore plus que La Reine des neiges ? Oh oui.
Simple coïncidence : cette page consacrée à Vaiana – La Légende du bout du monde tombe juste après l’interview du réalisateur de Mercenaire, Sacha Wolff. A priori, aucun rapport entre ces deux films, sinon les latitudes australes et la volonté de faire un cinéma mythologique. Comme s’il suffisait de planter ses caméras dans les îles ou de suivre un Polynésien tatoué pour éclabousser l’écran de lyrisme vahiné, de rituels colorés ou de la puissance démesurée du Pacifique. Comme si cette culture et ces corps étaient en soi vecteurs de cinéma. Figurez-vous que c’est le cas de
Vaiana – La Légende du bout du monde, dont la beauté tient en partie à la géographie. La poésie des îles, l’exotisme sensuel, les lagons verts et le bleu du ciel... En quelques plans se dessine un univers paradisiaque d’une richesse et d’une splendeur dont on ne s’extrait pas facilement. Mais la vraie réussite du film c’est de transformer ces visions primitivistes en modernisme. Grâce à John Musker et Ron Clements. Derrière Vaiana... se cache en effet le duo de génie qui a su porter les formules Disney à un niveau paroxystique, liant à chaque fois tradition et modernité dans des films marqueurs du studio. Basil, détective
privé, La Petite Sirène, Aladdin : c’est eux. Et Vaiana... porte leur empreinte à chaque cellulo. En le voyant, on pense évidemment à La Petite Sirène, mais encore plus au très beau
La Princesse et la Grenouille, leur dernier film en date. Si les sujets sont similaires (volonté de dépoussiérer l'image de la princesse et de réinventer le musical Disney), les deux films semblent pourtant conduits par des énergies radicalement différentes. Là où La Princesse et la Grenouille était coincé dans sa bulle rétro, avec pour seul horizon l’héritage Disney, la relance de l’animation 2D et les références
50s (Tex Avery), Vaiana... est un film d’une modernité décidée. Suivant les ambitions de John Lasseter – qui avait fait du film son étendard pour relancer l’animation old school –
La Princesse et la Grenouille faisait revivre le passé de manière trop velléitaire et nostalgique. Avec cette idée que le travail de la main, la 2D, devait se voir. Au contraire, Vaiana... est un geste de cinéma auquel les dernières techniques confèrent une fluidité folle et laissent la sensation d’une facilité déconcertante. Comme dans tous les films de Musker et Clements, il est question de savoir-faire et de maîtrise pure (c’est même, dans une belle mise en abyme, le sujet du film, puisque Vaiana doit apprendre à naviguer), mais cette fois-ci, ça ne se voit jamais et les séquences soufflantes se déploient sous nos yeux avec une évidence déconcertante. La manière dont Vaiana... réconcilie tradition et modernité dans une esthétique expressive et spontanée (le dessin des personnages est resté proche des concepts arts originels) rappelle la grâce d’un Miyazaki. Un rayon de lune qui se reflète sur l’immensité du Pacifique. L’incroyable numéro « Pour les hommes », où l’élasticité proprement démente du mini Maui laisse bouche bée (merci Eric Goldberg qui animait déjà le génie d’Aladdin).
VAGUE À L'ÂME. Ou mieux, cette vague qui ramène Vaiana sur le bateau à chaque fois qu’elle tombe dans l’eau. Regardez-la bien cette vague, cette ligne incurvée, regardez bien ses expressions, ses émotions qui semblent passer de la frustration à l’affection, de l’ironie à la colère. C’est la magie Musker & Clements qui fait passer la pensée et l’idée par la seule puissance des images. Après La Reine
des neiges, Vaiana... continue de mettre Disney à la page, en proposant une héroïne de son temps (exit la recherche du prince charmant), une intrigue audacieuse (il n’y a même plus de grand méchant), une bande-son manufacturée par un grand nom du musical (Lin-Manuel Miranda) qui fait revivre la tradition des grands Disney chantés et en se permettant même des références à Mad Max – Fury
Road. Un authentique chef-d’oeuvre animé, à la vitesse et la fluidité renversantes, une plongée au coeur d’une ivresse chatoyante et d’un univers tumultueux. Aussi bien un généreux rêve de cinéma qu’un vertigineux traité mythologique. Un pur Disney.