Première

22 Tommy Swerdlow

Scénariste sulfureux et méconnu des années 90, Tommy Swerdlow a façonné l’imaginaire des kids à travers des films cultes comme Shrek ou Rasta Rockett, qu’il a écrits en plein trip d’héroïne. Retour sur un destin shooté.

- u PAR ROMAIN BLONDEAU

Vendredi 1er octobre 1993, une déferlante tropicale s’abat sur les écrans américains. Le studio Walt Disney Pictures vient de lancer son film phare de l’année, Rasta Rockett, une comédie grand public qui raconte l’histoire d’une bande de potes jamaïcains engagés dans une aventure délirante : représente­r pour la première fois leur pays aux Jeux olympiques, dans la catégorie bobsleigh. Signé par le jeune faiseur Jon Turteltaub, ce feel-good movie bourré de clichés et de bons sentiments grimpe au sommet du box-office US, récoltant près de 70 millions de dollars de recettes. Et le phénomène devient vite mondial : de la France au Japon, des millions de bambins se prennent de passion pour Rasta Rockett, qui s’imposera au fil du temps comme l’objet de culte de toute une génération. Vingt ans plus tard, un léger détail vient néanmoins ternir la belle success story. Derrière ce film pour enfants se cachait en réalité un type au parcours sulfureux, junkie notoire et personnage flambé du Hollywood décadent : Tommy Swerdlow. Crédité comme scénariste, avec son partenaire Michael Goldberg, il dit aujourd’hui avoir écrit Rasta Rockett en plein trip d’héroïne. « Je carburais à trois doses par jour à l’époque, nous confiet-il depuis son salon californie­n. J’étais continuell­ement défoncé, la drogue était devenue mon oxygène. Je n’ai pas dû écrire une ligne du film en étant clean. »

Very bad trip

Mais il ne s’est pas arrêté là : de 1993 à 2002, Tommy Swerdlow a travaillé sur une série de comédies familiales, comme Little Giants, Chiens des neiges ou

Shrek, contribuan­t à façonner l’imaginaire des kids des années 90. Le tout sous l’emprise de drogue. Le destin fou de ce scénariste débute dans l’Amérique post-hippie des seventies. Élevé à New York par un père producteur de shows à Broadway et une mère enseignant­e, Tommy Swerdlow se rêve d’abord poète, puis acteur. En 1984, à 22 ans, il part tenter sa chance à Los Angeles, où il obtient quelques jobs de réécriture sur des films mineurs, et découvre la vie nocturne, ses passions et ses excès. Il goûte à tous les délices de la ville, s’initie à la weed, la cocaïne et l’héroïne. « Il faut comprendre le contexte : à l’époque, la dope était partout à Hollywood, se justifie-t-il. Après la période disco, qui avait fait exploser la coke, tout le monde se mettait à l’héroïne et aux drogues synthétiqu­es. C’était de la

défonce joyeuse, on était peu informés des effets de cette saleté. » Ses addictions ne l’empêchent pas pour autant de réaliser son rêve. En 1992, le producteur Chris Meledandri (l’homme derrière L’Âge de glace et fondateur du studio Illuminati­on) lui confie un job de scénariste pour un projet qui traîne sur les étagères de Disney : Rasta Rockett. Tommy Swerdlow perçoit d’emblée le potentiel du film, qu’il imagine comme un trip burlesque et halluciné. « J’écrivais des scènes de rêve, de défonce, des situations comiques barrées, et le producteur me disait : “Ok, c’est bien, mais fais plus mainstream”, se souvient-il. Le script final est assez sage, mais il reste quand même un peu de folie, de bizarrerie, avec par exemple ce personnage qui dit sans cesse qu’il est en train de mourir. Un pur truc d’héroïnoman­e. »

Plus dure sera la chute

Le succès du film lance la carrière de Tommy Swerdlow, qui, à 30 ans, se retrouve choyé par les plus grands studios. Désormais spécialisé dans les films familiaux, il est embauché par Steven Spielberg pour participer à l’écriture du teen movie Little Giants, un job qui lui rapporte 150 000 dollars par semaine, et planche même sur la première version du dessin animé

Shrek pour le studio DreamWorks, tout en plongeant encore plus dans les paradis artificiel­s. « La drogue n’affectait pas mon boulot, au contraire, jure-t-il. Sous héroïne, j’écrivais des scénarios un peu rebelles, inventifs, anticonfor­mistes, qui plaisaient sans doute aux studios. » Mais Tommy Swerdlow finit par perdre les pédales. Au milieu des années 90, sa consommati­on de drogue explose, il se met au crack et se retrouve dans des situations de plus en plus dangereuse­s. Un jour, il se fait embarquer à l’arrière du camion d’un inconnu qui file vers le Mexique. Le lendemain, défoncé, il achète deux modèles identiques d’une voiture de luxe et part se crasher sur Sunset Boulevard. Ses excès commencent à devenir embarrassa­nts à Hollywood. Depuis le décès brutal du prodige River Phoenix, emporté par une overdose en 1993, l’industrie tolère moins les drogues et veut afficher une image plus clean. Tommy Swerdlow est prié de dégager. Sans boulot, il se remet à la poésie et tente une carrière de musicien. En 2007, une grave infection du coeur met un coup d’arrêt à sa chute opiacée et l’envoie pour un long séjour à l’hôpital, au terme duquel il perd 30 kilos et décide d’en finir avec la drogue. Aujourd’hui, libéré de ses vieux démons, il veut faire son retour à Hollywood et s’est lancé dans l’écriture de nouveaux scénarios. Des films pour enfants, évidemment.

« RASTA ROCKETT, UN TRIP BURLESQUE ET HALLUCINÉ. »

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Shrek, de Vicky Jenson et Andrew Adamson.
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 ??  ?? Rasta Rockett, de Jon Turteltaub.
Rasta Rockett, de Jon Turteltaub.

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