Pharrell Williams
Get Lucky, qu’il a coécrit et chanté avec Daft Punk (chanson la plus populaire de 2013), figure dans une dizaine de films dont Boyhood de Richard Linklater. Blurred Lines, écrit et produit avec Robin Thicke (deuxième chanson la plus populaire de 2013), peut être entendue dans une vingtaine d’épisodes de séries télé, de Mon Oncle Charlie à Glee.
Happy, son hymne à la joie de vivre et à la résistance (chanson la plus populaire de 2014), bat tous les records d’exploitation de licence musicale avec pas moins de trente-sept apparitions ciné-télé en deux ans. Mais à la différence des deux autres, Happy a été spécialement composée pour le cinéma : c’est l’expression de la voix intérieure de Gru, le gentil vilain de Moi, Moche et
Méchant 2. Une « bande originale » devenue tube planétaire et, par effet boomerang, bruit de fond de plein d’autres films ? Au risque d’en diluer l’impact et de trahir la mémoire de Gru ? Pharrell Williams y voit-il un problème ? « Absolument pas, répond l’intéressé avec son flegme légendaire, casquette brodée vissée sur le crâne. Déjà, je ne m’occupe pas du licensing de mes chansons. Ce n’est pas ma responsabilité, mais celle des artistes et cinéastes qui choisissent de les utiliser. Une chanson est une chanson, qu’elle provienne d’un film ou d’un album. Je ne fais aucune différence entre les exemples que vous avez cités sinon celle de l’inspiration. Get Lucky parle de la nécessité de faire une connexion, du miracle de l’alchimie sexuelle. Blurred Lines résulte d’une jam session avec Robin Thicke. Selon lui, elle est l’expression de la dichotomie qui existe chez une fille entre angélisme et mauvais penchants. Pour Happy, j’ai longtemps cherché avant de trouver le bon groove. Il m’a fallu neuf tentatives (neuf brouillons de chanson) avant de rentrer dans la peau de Gru et de le comprendre de l’intérieur. Il était fou dans le premier film ; maintenant, il est heureux. Comment écrire une chanson sur un type qui n’en revient pas d’être heureux, au point de ruminer son bonheur implacablement ? Finalement, j’ai trouvé… » Après Moi,
Moche et Méchant 2, Pharrell a coproduit Dope de Rick Famuyiwa, dont il a aussi supervisé la bande son, et contribué à quelques titres sur la BO de The
Amazing Spider- Man 2. Son implication nouvelle à différents degrés de la production cinéma l’oblige, dit-il, à devenir un meilleur musicien : « Sur Moi, Moche et Méchant 2, je suis arrivé en disant : « Oh vous savez, je sais écrire des chansons ! », mais ils avaient un plan de route. Ils savaient ce qu’ils voulaient. Dans le processus, j’ai appris à toucher plus de gens, à “ouvrir” ma musique au plus grand nombre. » À croire que tout ce qu’il touche se transforme en or
puisque sa dernière aventure cinéma,
Les Figures de l’ombre, vient de remporter un triomphe sans appel au box-office US et a été nommé trois fois aux Oscars. Un film pour lequel Pharrell a fait des pieds et des mains, harcelant la production pour monter à bord, trois semaines seulement avant le début du tournage. L’histoire méconnue de ces mathématiciennes noires ayant oeuvré en secret pour le programme spatial américain est la synthèse de tout ce qu’il aime : la Nasa, les femmes, la défense des droits civiques, les années 60... « En tout, il y a huit chansons originales sur la BO des Figures de l’ombre, explique-t-il, dont deux composées spécialement pour l’occasion, Runnin’ et I See A Victory. Je crois que j’ai été la cause de pas mal de maux de tête pour le réalisateur Theodore Melfi ; j’ai essayé de placer des chansons partout. » Runnin’, qui accompagne les longs sprints de Taraji P. Henson sur le campus de la Nasa, entre son bureau et les toilettes réservées aux Noirs, a une structure de chanson pop typiquement 60s, mais la touche instrumentale moderne hyper reconnaissable de l’ex-leader des Neptunes. D’après Theodore Melfi, « C’est aussi ce qui garantit au film de ne pas tomber dans le piège du cinéma vieillot, “à l’ancienne”. »
Mélodie salvatrice
Pharrell ne se contente pas de coproduire le film et de poser son groove sur deux chansons ; il est aussi en charge de la partie orchestrale, du score, en collaboration avec une autre légende de l’arrangement, Hans Zimmer, spécialiste de la musique de film pétaradante (compositeur, entre autres, des BO de Gladiator et
Inception). Comment s’organise le travail entre ces deux géants aux méthodes a priori opposées ? « Très naturellement, rassure Hans Zimmer. La façon de faire de Pharrell est un peu ésotérique mais quand il devient motivé par une idée ou un concept, il s’y abandonne complètement. On a la même vision du monde, la même croyance dans le pouvoir salvateur de la mélodie. Pour
Les Figures de l’ombre, on a essayé de suivre la tonalité patriotique des films de conquête spatiale comme
L’Étoffe des héros ou Apollo 13, ce type de musique vrombissante remplie d’instruments à cuivre. » Mais Pharrell Williams ne s’est pas retrouvé à travailler dans le cinéma par hasard. Depuis la mort anticipée du vidéo clip, il sait qu’une part de la survie du business musical se joue dans les salles. Comme tout ce qu’il fait, on en revient à son amour du son, et son désir de le transmettre : « Le cinéma fait appel à deux de nos sens, là où la musique n’est qu’auditive. C’est la raison pour laquelle l’industrie musicale est dans une telle panade, parce qu’on a trop longtemps cru que la chanson pouvait se suffire à elle-même. Mais le monde a changé, et on commence à réaliser que les gamins veulent de l’image. Aux États-Unis, YouTube fait plus d’audience que toutes les stations de radio combinées. On doit le prendre en compte si on veut voir la musique évoluer. »
« UNE CHANSON EST UNE CHANSON QU’ELLE PROVIENNE D’UN FILM OU D’UN ALBUM. »