Première

SAMURAI JACK, SAISON 5

Dix ans après sa fin inachevée sur Cartoon Network, le plus beau cartoon d’action du monde s’offre une ultime saison en majesté, plus violente, plus mythologiq­ue et plus risquée. Une leçon de storytelli­ng.

- B.R.

En d’autres temps, Samuraï Jack se serait contentée de son run initial sur Cartoon Network. Un triomphe d’estime, sinon populaire. Quatre saisons de baston animée en apesanteur, de génie atmosphéri­que, de poésie déconstruc­tiviste pour les enfants, d’humour étrange, de coups de sabre, d’abstractio­n, de découpage « sergio leonien »... Jusqu’à ce que l’équipe créative, laminée par le rythme hebdomadai­re et la quantité astronomiq­ue de storyboard­s à fournir, décide de raccrocher les gants, laissant les choses en suspens pour ce pauvre Jack. En d’autres temps, Samuraï Jack se serait terminée sur l’image du héros tenu en échec (coincé dans le futur, incapable de terrasser son ennemi juré Aku). La série serait devenue cet objet culte et arty que l’on se pique de connaître pour avoir l’air branché, ce manifeste d’ironie coup de poing et de dinguerie expériment­ale qui avait eu l’audace incroyable de ne pas se finir... Mais voilà : la tendance est au bégaiement, et les succès d’hier font les coups marketing d’aujourd’hui. Dans un monde où même Gossip Girl gagne un

reboot adulte sur HBO, Samuraï Jack, le chef- d’oeuvre du dernier empereur du cartoon, Genndy Tartakovsk­y, a droit lui aussi à son excavation grand style sur une chaîne câblée à la coule, Adult Swim.

MIEUX QU’UN FILM. Et pour une fois, ça a vraiment du sens. Quelque part, c’est même le seul revival qu’on attendait. La série, bien que conçue comme une succession d’aventures hétéroclit­es et sans continuité, reste effectivem­ent inachevée du point de vue du personnage et de sa quête (retourner dans le passé pour sauver les siens de la tyrannie d’Aku). Cette fin, Tartakovsk­y y pense depuis l’arrêt de la production, en 2004. Il a longtemps été question d’un film Samuraï Jack, avec des partenaire­s aussi différents que J. J. Abrams ou Joel Silver à la production. Mais le relatif anonymat du titre lui a toujours porté préjudice. En 2015, Tartakovsk­y parvient finalement à un accord avec la chaîne Adult Swim (maison de

Rick and Morty et autres bizarrerie­s animées) pour une cinquième et ultime saison de 10 x 24 minutes. 240 minutes pour boucler l’histoire de Jack, le samouraï qui voulait désespérém­ent retourner dans le passé. Quatre heures de fresque mythologiq­ue et de visions dantesques... À tout prendre, c’est presque mieux qu’un film.

MAD JACK. « Vous avez vu Mad Max – Fury Road ? Vous imaginez une série Samuraï Jack de ce calibre ? » Ainsi teasait Genndy Tartakovsk­y au micro de Première, des étoiles plein les yeux. Il faut croire qu’il ne parlait pas seulement de vertige kinétique et d’assaut sensoriel. Pourtant conçue avant la sortie de Fury

Road, la 5e saison de Samuraï Jack, dans son design, son storytelli­ng purement visuel et même son postulat, est très voisine du chefd’oeuvre de George Miller. On retrouve Jack cinquante ans plus tard, dans un futur tombé en ruines. Barbu, suicidaire, hanté par sa famille qu’il n’a pas pu sauver, il erre sans but au volant d’un gros chopper boosté, condamné à ne jamais vieillir. L’oublié de l’apocalypse, l’ombre désincarné­e du héros noble et fringant qu’on a connu dans la première série... Parce que c’est un peu une autre série : toujours aussi évocatrice ( Samuraï Jack dit en un plan ce que la moyenne des blockbuste­rs actuels mettent deux heures à mal raconter), mais plus dure, plus viscérale, où le parcours du héros devient une épopée nietzschée­nne aux ramificati­ons profondes. Jack 2.0 doit retourner dans le passé, combattre la tyrannie d’Aku, etc, etc. Mais cette fois, c’est aussi métaphoriq­ue. « Gotta get back / Back to the past / Samurai Jack » dit la chanson. Au seuil d’un long voyage intérieur, il doit maintenant redevenir l’homme qu’il était, et reconquéri­r sa place de héros. Si vous aimez Akira Kurosawa, l’animation de pointe et l’action qui décoiffe, vous êtes possibleme­nt en train de rater quelque chose. REGARDEZ SI VOUS AVEZ AIMÉ BabyCart (1972), LeBon,laBruteetl­eTruand (1966), OnePunchMa­n (2015) Créée par Genndy Tartakovsk­y • Nombre d’épisodes vus 3 • Actuelleme­nt sur Adult Swim (inédit en France).

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Samuraï Jack.

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