FUREUR APACHE – L'EMPEREUR DU NORD
Redécouverte dans des éditions somptueuses de deux films immenses, tournés d’affilée, qui synthétisent l’art du génialissime Robert Aldrich.
Ile st rare que les grands réalisateurs égalent leurs chefs-d’ oeuvre des débuts de carrière en fin de course. C’est pourtant le cas de Robert Aldrich qui, au début des années 70, alors que le vieil Hollywood se faisait botter le cul par la nouvelle vague yankee, tenait une forme proprement phénoménale. À quelques mois d’intervalle, Bob le fonceur allait signer deux pépitesgauchistes dégoupillées en pleine guerre du Vietnam, rappelant à quel point ce type génial avait su rendre le cinéma américain plus libre, plus brutal et plus fou. Génial, il l’était surtout parce qu’il n’avait pas peur d’appeler un chat un chat, d’utiliser les films de genre, de les sublimer et de les miner en même temps par une violence et un jusqu’au-boutisme ahurissant. Dans des registres opposés, Fureur Apache et L’Empereur du Nord développent une somptueuse idée qui résume assez bien la filmo de Robert Aldrich : deux héros liés à la mort s’affrontent dans un combat dont personne ne sortira vainqueur. Tenus par une haine tenace, ils n’existent pas l’un sans l’autre. Cette idée structure ces deux films sauvages qui forment un combo jouissif rassemblé par le hasard des calendriers DVD. Hasard ou coïncidence : tournés à la suite, les deux films sont sortis la même année en France (1973). L’Empereur du Nord met en scène l’affrontement entre deux acteurs aldrichiens au sommet de leur art, Lee Marvin et Ernest Borgnine. Leur dernier combat, tout en sueur, sang et os brisés est un moment d’anthologie où la portée du film se retrouve soudain réduite à deux hommes en furie. Situé en 1933, au plus dur de la crise économique, le film raconte la lutte à mort entre le roi des vagabonds du rail et un chef de train, particulièrement vicieux avec les clandestins. Le train, vide de toute marchandise, devient une scène de théâtre itinérant, un décor clos au milieu d’espaces immenses. Mais c’est dans leurs affrontements, aussi vains qu’incessants, qu’ils trouvent leur dignité de losers magnifiques. Tous deux semblent issus de l’imagerie western – l’un a endossé le rôle du shérif infatigable tandis que l’autre a préféré celui de l’Indien irréductible – et leur duel, absurde, mythologique, est l’unique façon de prouver leur existence. Ce serait presque des personnages de Beckett s'ils n'avaient pas remplacé la parole par une violence physique folle, animale (Marvin défendant son bien avec un grognement porcin, Borgnigne étant le féroce chien de garde accroché à ses basques), mais dérisoire.
INDIVIDUALISME ABSOLU. C’est à peu de chose près l’enjeu de Fureur Apache, « un des rares westerns importants des années 70 », explique l'écrivain et critique Jacques Lourcelles.
Fureur Apache reprend en partie Bronco Apache, en plus désespéré. Burt Lancaster jouait un Blanc, il est passé au rouge dans ce portrait schizo des rapports avec les Indiens. Mystère, effroi, pulsion de mort : le cinéaste tente de comprendre la cruauté et la folie apache (on notera au passage l’un des plus beaux titres VF jamais imaginés). Mais il n’y parviendra pas et le film qui dépeint le duel entre un éclaireur blanc aidé d’un scout indien et Ulzana, l’Apache qui multiplie les massacres de Blancs, raconte l’identification impossible au « sauvage », avec un sens de la démesure qu’Aldrich est le seul (avec Fuller peut-être) à avoir atteint. Les deux films creusent de manière sublimes les obsessions de ce cinéaste majeur : l’individualisme absolu, les héros perdus dans leur paranoïa et totalement lucides, et qui tentent de se raccrocher à la civilisation de manière lyrique et suicidaire. u GAËL GOLHEN