Première

SUR UN PLATEAU

Cinq femmes. Cinq destins qui se croisent et qui traversent la capitale l’espace de quelques mois. Avec Paris, etc., Zabou Breitman s’essaie à la « dramédie » chorale 100 % féminine. Et ambitionne de renouveler le paysage des fictions Canal+.

- PAR JULIEN LADA

Paris, etc., de Zabou Breitman

Au beau milieu de l’après-midi, les clients retardatai­res quittent la salle d’une brasserie chic du XIVe arrondisse­ment pendant que les caméras font leur entrée. À l’intérieur, Zabou Breitman peaufine les derniers détails de la scène qu’elle partage avec India Hair (Rester vertical). Elle s’émerveille face à l’énorme panneau de commande des interrupte­urs de la salle, fait bouger la caméra pour capter un plan de coupe sur les horloges Belle Époque, demande à filmer une séquence mettant en valeur les miroirs au plafond. « C’est qui qui commande ? », lance-t-elle à plusieurs reprises sur le ton de la plaisanter­ie, évoquant une anecdote à propos d’une vieille dame qu’elle avait entendu hurler dans les rues de Paris. Pas la peine de chercher le capitaine du navire plus loin, c’est elle qui porte de multiples casquettes sur la série (actrice, coscénaris­te et réalisatri­ce des douze épisodes de la saison). Paris, etc. est une nouvelle étape logique dans la carrière de celle qui avait connu des débuts triomphant­s derrière la caméra avec les trois César de Se souvenir des belles choses, en 2001. Si le public avait déjà pu suivre la touche-à-tout Zabou en tant que cinéaste et metteur en scène de théâtre et même d’opéra, c’est la première fois qu’elle réalise pour la télévision, alors que, en tant que comédienne, on l’a beaucoup vue sur le petit écran au cours de ces dernières années.

La traversée de Paris

Un temps nommé Chroniques parisienne­s, le projet s’intitule finalement Paris, etc., comme un pas de côté désacralis­ant l’imagerie de carte postale dans laquelle se complaît parfois le cinéma, y compris français. Pour ne pas céder à cette tentation de muséifier, Zabou avance pour mot d’ordre « ne pas montrer Paris pour montrer Paris, et montrer Paris pour d’autres raisons ». Propulsée comme souvent au rang de personnage principal alternatif, la capitale est aussi bien un décor qu’un écrin avec lequel il est impossible de ne pas composer. Le défi n’est pas pris à la légère sur le plateau. Une carte parsemée d’amas de points multicolor­es indique l’ensemble des lieux de tournage éparpillés à travers la capitale. Intarissab­le à leur sujet, Zabou Breitman les

« J’AI ESSAYÉ D’ALLER RECHERCHER DES MOMENTS PARISIENS DES ANNÉES 60/70. » ZABOU BREITMAN

relie tous à un ou plusieurs personnage­s. Elle évoque en détail les tours du quartier Olympiades dans lesquelles vit Nora (le personnage de Naidra Ayadi), d’où « elle a une vue sur tous ses voisins, ce qui l’aide dans son travail d’écrivain ». Quelques jours plus tôt, l’équipe avait posé ses caméras à l’École polytechni­que pour filmer des raccords neige (la série se déroule de la rentrée des classes jusqu’aux fêtes de fin d’année), tout en planifiant une scène tournée à l’aide d’un drone la semaine suivante. Une fois les lieux choisis, reste encore à leur donner sens à l’écran. Pour justifier sa démarche, Zabou s’appuie justement sur la structure de la narration sérielle et sur les passerelle­s qu’elle permet de bâtir entre les personnage­s. « L’idée de la sérendipit­é (la découverte fortuite) est très forte dans la série. Plus on regarde les coïncidenc­es, plus elles se produisent. Le format en trente minutes permet à ces cinq personnage­s, plus un qui est Paris, d’exister les uns avec les autres mais aussi les uns sans les autres. Leur seul lien commun, c’est le spectateur. On peut parfois réunir les personnage­s dans un lieu unique sans qu’ils sachent qu’ils sont ensemble. » Envisagé de la sorte, le format de la série devient celui d’un jeu de piste à travers les cinq arcs narratifs, la ville, mais aussi à travers son histoire, notamment quand elle explore l’imaginaire parisien. Pour expliquer cette démarche, on retrouve ce goût pour les pas de côté : « J’ai été fouillé les archives photos. J’ai retrouvé des clichés iconiques d’époque. L’idée c’était d’aller rechercher des moments parisiens des années 60/70. Des scènes de métro, d’école, où on est allés mettre la caméra exactement là où elle avait été posée. On peut rapprocher l’intime de l’universel, sans en faire un documentai­re d’archives. L’idée, c’est que ces rappels d’histoire servent aux personnage­s, tant qu’ils restent un contrecham­p de l’histoire de Paris il y a cinquante ans. C’est un travail avec la monteuse qu’on peut se permettre avec une série comme celle-ci. » Trois jours plus tard, le cinquantiè­me du tournage commencé fin janvier, changement de décor : les grandes verrières et les fauteuils tapissés de velours rouge laissent leur place à l’intérieur d’un appartemen­t typé années 70, traversé par une caméra sur rails. Et, aux disputes familiales de Gil (Zabou Breitman) avec son fils (Niels Schneider) et sa belle-fille (India Hair), empreintes de gravité et de bébé en pleurs, succède une scène burlesque avec un agent immobilier, cartoon en plan-séquence, où les portes claquent comme dans une course-poursuite de Tom et Jerry.

Un casting cinq étoiles

Au cas où le doute aurait pu s’installer, Paris, etc. rappelle à ce moment-là qu’elle s’appuie aussi sur de vrais ressorts comiques, et qu’elle reste une « dramédie » contempora­ine. Un genre prisé des chaînes câblées outre-Atlantique auquel Canal+ s’est peu frottée, préférant les oeuvres graves et les sujets sérieux en 50 minutes ou la comédie pure et loufoque des Kaboul Kitchen, Platane ou Hard. « Ce ne sera ni Sex and the City ni Girls », précise tout de même François Kraus, coproducte­ur de la série avec les Films du Kiosque, qui fait lui aussi son baptême du feu dans l’exercice de la série télévisée. « On bénéficie de l’expérience de Canal+, aussi bien dans le domaine du cinéma que de la télévision. On n’a jamais fait de série, Zabou non plus, la plupart des actrices non plus. Ça laisse beaucoup d’espace pour la création et la liberté de ton. » Pour donner vie à ces cinq Parisienne­s dont les parcours vont (de près ou de loin) se recouper, Zabou Breitman s’est entourée de Valeria Bruni Tedeschi et Naidra Ayadi, d’Anaïs Demoustier et de la révélation des Trois souvenirs de ma jeunesse d’Arnaud Desplechin, Lou Roy-Lecollinet. Le casting cinq étoiles estampillé grand écran fait penser aux oeuvres chorales sur Paris dont le cinéma français raffole, du Paris de Klapisch (autre converti aux séries grâce au succès de Dix pour cent) aux Parisiens de Lelouch ; sans oublier Paris, je t’aime, qui avait lancé, en 2006, un cycle Guides du routard cinématogr­aphiques à travers les métropoles du monde. Autant de prédécesse­urs balayés d’un revers de main par l’équipe. L’enjeu est réel pour la chaîne cryptée, qui avance comme modèle le succès des Revenants et de son copieux casting ciné pour expliquer le modèle de Paris, etc. La série de Fabrice Gobert avait, à l’époque, marqué un tournant créatif et une ouverture vers de nouveaux horizons sériels. Paris, etc., présentée comme une « comédie d’auteur », devra lui emboîter le pas si elle veut ouvrir un nouveau sillon. Paris, etc., etc. ?

PARIS, ETC.

Créée par Zabou Breitman • Avec Valeria Bruni Tedeschi, Anaïs Demoustier, Naidra Ayadi, Lou Roy-Lecollinet, Zabou Breitman... • Prochainem­ent sur Canal+.

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Zabou Breitman, actrice et réalisatri­ce de Paris, etc.
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SUR UN PLATEAU Zabou Breitman sur le tournage de la série Paris,etc.
 ??  ?? Page de scénario extraite des documents de tournage de la scripte Bénédicte Kermadec.
Page de scénario extraite des documents de tournage de la scripte Bénédicte Kermadec.

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