Première

BILAN DE COMPÉTENCE­S

Transformé en pirate mort-vivant, l’acteur traque Johnny Depp dans le cinquième Pirates des Caraïbes. Rencontre capillaire avec l’interprète d’un « monstre sexy ».

- PAR SYLVESTRE PICARD

Javier Bardem

Si on en croit Javier Bardem, obtenir le rôle du grand méchant du cinquième Pirates des Caraïbes fut aussi facile qu’un tour de manège. « C’était en 2010. Penélope

(Cruz) était en train de tourner La Fontaine de jouvence. J’étais sur le plateau et j’étais comme un gamin devant l’ampleur de la production. Avec Jerry Bruckheime­r qui chapeaute tout ça, qui arrive à réunir les meilleures personnes de la planète pour travailler avec lui. Les décors, les costumes, les bateaux pirates... Comme un gamin, je te dis ! » C’est à ce moment-là que Bardem laisse discrèteme­nt entendre à la production qu’il serait partant pour jouer dans un éventuel futur film de la saga. Quatre ans plus tard, le quatrième Pirates des Caraïbes a rapporté plus d’un milliard de dollars de recettes sur la planète et, pour Bruckheime­r, produire un cinquième film est une nécessité d’autant plus pressante que son contrat avec Disney a été rompu après le flop de Lone Ranger –

Naissance d’un héros. Bardem sortait à peine du carton de Skyfall, dans lequel il venait de composer l’inoubliabl­e Silva, le salopard caligulesq­ue du film, qui affrontait un Daniel Craig en mauvaise posture (on se souvient tous de son apparition où il essaie de séduire Bond, attaché sur une chaise).

Coeur de pirate

« Quand ils m’ont appelé pour incarner Salazar, j’ai dit oui pour deux raisons : d’abord pour pouvoir jouer aux pirates et, ensuite, parce que je trouvais que c’était un personnage avec lequel j’allais avoir l’opportunit­é de m’amuser et d’apporter des trucs personnels, explique Bardem. Disney, c’est le plus haut niveau de divertisse­ment. Le personnage de Silva est très différent et Skyfall est un film d’auteur, en comparaiso­n. Mais ce qui m’a le plus étonné, c’est que les gens de Disney étaient très ouverts à mes propositio­ns, à mes idées pour le personnage. C’est dingue de penser que tu as de la liberté alors qu’on tourne avec cinq caméras et deux cents figurants qui agitent des sabres ! J’avais vraiment l’impression d’être à Disneyland. » S’inscrivant dans la prestigieu­se lignée des génies du mal « bondien », son Silva, qui venait après le Chigurh de No Country for Old Men (les frères Coen) n’a pourtant pas transformé Javier Bardem en nouvel abonné des méchants-tordus-avec-un-accent- exotique, en néo- Christoph Waltz. Sans doute parce qu’il a fait le choix de tourner rarement, et uniquement quand le projet lui « chatouille les tripes ». Après le James Bond, Bardem a incarné Reiner, le millionnai­re excentriqu­e de Cartel (Ridley Scott), l’un des plus gros flops de 2013, mais une expérience inoubliabl­e pour l’acteur : « C’était une expérience, oui – je dirais même une expériment­ation. On a fait ça parce qu’on aimait les mots de McCarthy, ces jeux de dialogue... Mais j’imagine que tu m’en parles aussi pour la scène où Cameron Diaz fait l’amour avec une voiture, rigole-t-il. Oui, c’est le genre de scène que tu veux jouer immédiatem­ent, dès que tu la lis. Elle te saute aux yeux. Tu VEUX dire ces mots, tu veux que les gens t’entendent le dire... Même dans les films que tu fais juste

« JE NE SAIS PAS JUSQU’À QUAND JE POURRAI JOUER DES MECS SEXY. » JAVIER BARDEM

pour le chèque, il faut qu’il y ait ce genre de moments. Ces moments qui te chatouille­nt les tripes. » Il parle de tripes, mais le point commun entre Chigurh, Silva, Reiner et Salazar, ce sont ces coupes de cheveux qui achèvent de tuer le sex-appeal d’un acteur découvert grâce à son rôle hot dans Jambon, Jambon (Bigas Luna, 1992). « Pour les cheveux de Salazar, c’est un effet numérique complèteme­nt inédit. Mais il y a moins de numérique qu’on pourrait le croire. Il fallait trois heures de maquillage pour ma peau... »

Mise à mort

On pourrait diviser les rôles de Javier en deux catégories : les beaux mâles latinos (dans Mange, prie,

aime, de Ryan Murphy, Vicky Cristina Barcelona, de Woody Allen) et les monstres (Chigurh, Silva). En tout conscience, Bardem adore fouiller cette zone obscure, le lien qui unit beauté et monstruosi­té, pour regarder comment on passe de l’un à l’autre. C’est le moment où Silva retire son dentier dans Skyfall et son visage devient celui d’un mort-vivant. Ou celui où il vous fait jouer votre vie à pile ou face dans No Country for Old Men. Pas étonnant, du coup, que Bardem joue un pirate mort-vivant déterminé à se venger de Jack Sparrow (Johnny Depp) dans La

Vengeance de Salazar : « Salazar est un monstre sexy ! Je ne sais pas jusqu’à quand je pourrai jouer des mecs sexy, alors je préfère prendre les devants. Le déclic pour Salazar ? La rage. La rage pure qui l’anime. Je n’ai jamais joué un personnage pareil. L’idée d’incarner quelqu’un qui est consumé par la rage... Mon idée, c’était de le jouer comme un taureau blessé dans l’arène. Il fallait que j’exprime la noblesse et la fierté d’un animal en train d’être mis à mort. Dans une corrida, le taureau n’abandonner­a jamais. Pareil pour Salazar. » Salazar/ Bardem possède un insigne honneur : celui d’avoir, pour la première fois dans l’histoire de la franchise, donné son nom à un film de la série – aux États-Unis, son titre est Dead Men Tell No Tales (les cadavres ne parlent pas), un peu ironique dans une franchise bourrée de morts très bavards. « Ça veut surtout dire que toute la pression est sur moi. J’espère que je ne vais pas découvrir que je suis le personnage principal, en fait. J’espère avoir créé un adversaire puissant à Jack Sparrow, et ça me suffit. Depp est très généreux. Quand tu joues avec lui, il faut être prêt à tout parce qu’il fait ce qu’il veut avec son personnage et il improvise en permanence. Son énergie et la mienne étaient très opposées, comme l’eau et le feu. » L’enjeu du personnage de Salazar est aussi de supplanter le capitaine Barbossa, méchant récurrent de la saga. La preuve ? Ce passage du film où Salazar croque goulûment dans la pomme de Barbossa : c’est l’accessoire favori de l’acteur Geoffrey Rush. Tous ses personnage­s ont une passion pour ce fruit. Une anecdote qui fait bien rire Javier Bardem : « Ah ah ! Je ne savais pas ! Je suis désolé d’avoir marché sur son territoire. Mais il ne m’a rien dit, il n’a pas réagi... Si j’avais su ! »

PIRATES DES CARAÏBES – LA VENGEANCE DE SALAZAR

De Joachim Rønning & Espen Sandberg • Avec Johnny Depp, Brenton Thwaites, Javier Bardem... • Durée 2 h 33• Sortie 24 mai.

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Javier Bardem dans Pirates des Caraïbes – La Vengeance de Salazar.
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