PREMIÈRE STORY
Jean-Paul Belmondo y ramenait ses conquêtes. Quentin Tarantino y a passé quelques nuits blanches et écrit Pulp Fiction. Situé au coeur de Saint-Germain-des-Prés, l’hôtel La Louisiane est un lieu mythique et secret, dont on nous a ouvert les portes en excl
Hôtel Louisiane
De l’extérieur, l’endroit ressemble à une vieille pension laissée à l’abandon. Située au 60, rue de Seine, en plein coeur du Saint-Germaindes-Prés historique, entre une boucherie et une pharmacie, l’hôtel La Louisiane est depuis longtemps déserté par le tourisme aisé de la Rive gauche. Avec ses deux étoiles durement conquises, ses 70 chambres aux tapisseries vintage amochées par le temps, ses moquettes défoncées, son atmosphère enfumée et son réfectoire vieillot, le lieu est la dernière anomalie d’un quartier où règnent le luxe et les hôtels de prestige. Mais derrière son apparence austère, l’hôtel La Louisiane cache une histoire flamboyante et mystérieuse, un secret que seule une poignée d’initiés connaissent. Depuis les années 50, l’adresse s’est, en effet, imposée comme l’épicentre créatif de Saint-Germain-des-Prés, un lieu de passage de quelques cinéastes et acteurs mythiques. Jean-Luc Godard, Bernardo Bertolucci, Louis Malle, Jim Jarmusch, Jane Campion, Quentin Tarantino, mais aussi Bill Murray ou Klaus Kinski se sont installés à un moment de leur vie à La Louisiane. Ils y ont dormi une nuit ou des semaines, y ont écrit des films ou passé des nuits blanches, contribuant à façonner le mythe de l’établissement. « C’est l’équivalent français de l’hôtel Chelsea (à New York), un lieu un peu clandestin et très libre, dont on se refile l’adresse sous le manteau », s’emballe l’écrivain et cinéaste Frédéric Beigbeder, fidèle habitué des lieux.
Du jazz à la Nouvelle Vague
Fondé en 1823, et détenue depuis quatre générations par la même famille, l’hôtel La Louisiane a toujours aimanté une clientèle d’artistes et d’oiseaux de nuit. Dès les années 40, l’établissement s’attire les faveurs du Saint-Germain littéraire, accueillant toute la scène existentialiste, dont Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir qui y débute l’écriture de l’essai Le Deuxième Sexe. À la libération, l’adresse devient le point de ralliement des grands jazzmen américains : Miles Davis, John Coltrane, Bud Powell ou Chet Baker qui viennent y passer la nuit après leur concert dans les caveaux du quartier. Le cinéma commence lui aussi à s’intéresser au lieu à partir des années 60. « C’est Jean-Paul Belmondo qui a été le premier à adopter l’hôtel, se souvient Xavier Blanchot, l’actuel propriétaire de l’établissement. Il était dragueur, et il avait pris l’habitude de ramener ses conquêtes féminines à la Louisiane. Il en a parlé autour de lui et on a vu débarquer Jean-Luc Godard, François Truffaut, Agnès Varda, tous les gens
de la Nouvelle Vague. » Depuis lors, l’hôtel ne cessera d’attirer les réalisateurs du monde entier, qui en feront un lieu de vie et de création. Barbet Schroeder s’y installe à la fin des années 60 et y tourne quelques scènes de son premier film, More. Leos Carax y établit ses quartiers en 1989 pendant le tournage des Amants du Pont-Neuf. Bertrand Tavernier en fait le décor de son film, Autour
de minuit ( 1986), qui s’inspirait de la vie du jazzman Lester Young. Mais c’est à un autre cinéaste que La Louisiane doit sa renommée actuelle : Quentin Tarantino. L’Américain s’y est installé durant trois mois à l’été 1992, sur les conseils du producteur français Pierre Edelman. Ce dernier raconte : « Quentin cherchait un endroit pour travailler sur son nouveau film. Je lui ai proposé de le loger à La Louisiane pour finir l’écriture de son scénario et il est tombé amoureux de l’endroit. Il s’identifiait à l’histoire de l’hôtel, à ces jazzmen noirs qui y avaient vécu. »
De PulpFiction à KillBill
Installé dans la chambre 36, une modeste suite à la moquette fanée, que l’on peut aujourd’hui occuper pour 120 euros la nuit, Tarantino a ainsi écrit le scénario de Pulp
Fiction en plein coeur de Saint-Germain-des-Prés. Et il n’a jamais rompu les liens avec l’hôtel : « Dès qu’il est en visite à Paris, il vient ici, explique Xavier Blanchot. Il nous a même rendu hommage dans Inglourious
Basterds. Si vous regardez bien, la taverne où éclate la grosse fusillade avec les Allemands s’appelle La Louisiane. » Reste une question : que venaient chercher toutes ces personnalités dans cet hôtel au confort très rudimentaire ? Il y a, bien sûr, la légende Rive gauche, l’histoire d’un lieu fréquenté jadis par l’avant-garde littéraire et musicale. Mais il y a aussi un certain culte du secret, un esprit libertaire que les propriétaires cultivent depuis des décennies. « La Louisiane a toujours été un lieu d’indépendance, poursuit Xavier Blanchot. Le principe, dans la maison, c’est de ne jamais se mêler des affaires de nos clients et de les protéger. Quand un paparazzo ou un fan s’approchent un peu trop près, on les dégage. » Rebaptisé « L’hôtel de la défonce » en 1974 par le quotidien France Soir, La Louisiane s’est ainsi taillé une réputation de lieu de fête et d’excès, dont l’écho se poursuit encore aujourd’hui, même si l’établissement a un peu perdu de son faste passé. « C’est un endroit de liberté totale ! On y vient avec qui on veut, on y fait ce que l’on veut. Il n’y a aucun flicage ni censure », s’exalte le réalisateur québécois Michel La Veaux qui a tourné un documentaire sur le lieu, Hôtel La Louisiane, dont la sortie est prévue cette année. Quentin Tarantino lui aussi a goûté aux joies permissives de La Louisiane. En novembre 2003, en visite à Paris pour la promo de Kill Bill, le cinéaste séjourna quelques nuits à l’hôtel et laissa un souvenir mémorable à son propriétaire. « Il y a eu un soir un peu particulier, raconte Xavier Blanchot. Quentin errait seul dans l’hôtel vers quatre heures du matin. Il avait visiblement beaucoup bu. Il se trimbalait dans les couloirs vêtu de la combinaison jaune que porte Uma Thurman dans le film... » L’histoire ne dit pas s’il avait un sabre.