Première

EN COUVERTURE

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Tom Cruise

Sur le plan des grands réalisateu­rs, Tom Cruise n’est plus tout à fait au sommet. Puisqu’il est établi qu’il a débuté sa carrière il y a trente-six ans (premier film :

Taps, en 1981), il est permis de la diviser en trois tranches de douze. 19811992 : Coppola, Scott ( Ridley), Scott (Tony), Levinson, Scorsese, Stone. 19932004 : Pollack, De Palma, Kubrick, Woo, Spielberg, PTA, Mann. 2005-2016 ? Abrams, Singer, Zwick, Mangold, Bird, Kosinski, Liman, McQuarrie. La quatrième démarrerai­t donc en 2017 avec Liman (encore), McQuarrie (toujours) et Kurtzman... En termes de grandes signatures, c’est clair, Tom Cruise fait une petite pause. En milliards de dollars de recettes, en revanche, ça continue de s’accumuler. Plus de 8,78 milliards à ce jour (source boxofficem­ojo.com), sans avoir prêté sa voix à aucun jouet Pixar ni aucun animal DreamWorks. 8,78 milliards dont près de la moitié a été gagnée au cours de la troisième phase de sa carrière, la moins riche en auteurs monuments, celle où Tom a parfois partagé la vedette (Cameron Diaz, Emily Blunt, Jeremy Renner) mais jamais la vision. La Momie en serait presque la preuve la plus éclatante. Il s’agit du premier volet de ce qui doit devenir le vaisseau amiral d’Universal, un monde arborisé consacré aux monstres qui ont fait la gloire du studio dans les années 30 à 50 : Frankenste­in et sa fiancée, l’Homme invisible, Dracula, la créature du lac noir, etc. En gros les pensionnai­res de Hôtel Transylvan­ie transposés dans le cinéma du XXIe siècle, celui où tout studio qui se respecte doit avoir son « univers étendu » sous peine de regarder Disney (qui en a deux) jongler tout seul avec les milliards. Or, les milliards, comme on vient de le rappeler, Tom Cruise en est un peu le spécialist­e. C’est la raison pour laquelle la responsabi­lité de lancer la nouvelle franchise repose sur son blouson élimé. Depuis sa signature fin 2015, le réalisateu­r producteur Alex Kurtzman lui a lâché le lest nécessaire : puisqu’il y a Tom Cruise dedans,

La Momie (dans lequel, lecteur mal pensant, Tom ne joue PAS le rôle-titre) est devenu par définition un « Tom Cruise movie », avec son comparse Chris McQuarrie au scénario et la star himself dans la salle de montage. Cela fait maintenant quatre heures que

Première l’attend gentiment en mangeant des pommes et des sandwiches dans une salle de réunion des studios Warner, dans la banlieue de Londres. Pourquoi tout ce temps ? « On n’était pas sûr de quand il serait dispo. » Pourquoi là ? « On finit le montage de La Momie, et le premier cut de American Made, le film qu’on vient de tourner avec Doug Liman », nous expliquera-t-il. Le bâtiment en face abrite l’expo Harry Potter, mais on n’aura pas le droit d’y aller. Même pour faire pipi,

LA MOMIE EST LE PREMIER VOLET DE CE QUI DOIT DEVENIR LE VAISSEAU AMIRAL D’UNIVERSAL.

il faut demander la permission, les gens de la sécurité en blousons Warner ont été très clairs à ce sujet. Ici, des films « top-secretissi­mes » sont tournés en ce moment même. Au bout d’un couloir, on aperçoit d’ailleurs Mark Hamill en discussion avec George Lucas, qui porte un costume d’Ewok. On nous fait aussitôt signer un embargo intergalac­tique pour ne pas révéler cette info extraordin­aire à nos lecteurs.

L’homme qui valait des milliards

On se réveille en sursaut de notre sieste. C’est à nous...Tom Cruise est là, dans la pénombre d’un plateau éteint où une équipe télé vient de mettre en boîte quelques interviews filmées avec la presse internatio­nale. Sans voir la superstar qui lui tendait la main pour dire bonjour, Première, seul média papier convié, lui coupe la route pour pénétrer dans la tente de maquillage où l’entretien va avoir lieu. Tout le monde est estomaqué par ce stupéfiant crime de lèse-majesté, sauf ladite star, grand sourire en forme de clin d’oeil, qui semble nous dire : « Eh ouais, c’est moi, tu ne rêves pas – et tu m’as mis un vent. » Il sourit souvent, remercie beaucoup, réfléchit (très) fort, rit (trop) fort, exactement comme dans les films, exactement comme Tom Cruise, ce gars qui pèse 8,78 milliards de dollars de recettes au box-office internatio­nal (source notre inconscien­t collectif). En lui parlant, on réalise qu’on ne s’est même jamais posé la question de savoir si on aime vraiment Tom Cruise ou non. Il est la plus grande star du monde, sans doute l’acteur le plus populaire de tous les temps, mais pas dans le sens de l’affection qu’on lui porte, plutôt dans celui du style de films qu’il fait. Et ses films, on les voit tous, toujours. En salle, à la maison, dans l’avion, on n’en rate aucun. Ce type est décidément très très fort. « Ça va ? Merci d’être venu, merci d’être là. Ce n’était pas trop fatigant de voyager ce matin ? » On lui explique qu’on n’était plus venu à l’aéroport de Heathrow depuis

l’inaugurati­on de l’Eurostar, il y a plus de vingt ans, surtout que Première habite désormais à dix minutes à pied de la gare du Nord. « QUOI ! Mais c’est dingo, pourquoi ils vous feraient prendre l’avion dans ces conditions ? C’est n’importe quoi ! Mais sinon, l’Eurostar, c’est comment ? Bien ? Moi, je ne l’ai jamais pris en vrai. Seulement dans Mission... » Cet échange inaugural avant de s’asseoir n’a l’air de rien, mais il est très révélateur : Tom Cruise s’intéresse à vous, il s’inquiète de votre bien- être. Mais il est Tom Cruise. Il dit « Mission » pour parler de Mission : Impossible, parce qu’il est autorisé à appeler ce film par son petit nom. Et il le dit avec un sourire, ce putain de sourire qu’il a inventé pour Top Gun et sur lequel il aurait pu bâtir toute sa carrière, s’il n’avait pas décidé de la réinventer, et de la réinventer encore. Ce sourire qui semble affirmer : « Je sais qui je suis, je sais ce que tu ressens quand je me trouve en face de toi. Eh ouais, c’est moi. C’est ma gueule de Tom Cruise. Est-ce que tu vas être capable de t’en remettre ? » Il va falloir essayer, en tout cas...

PREMIÈRE : Quand j’ai dit à mon fils de 9 ans que j’allais interviewe­r Tom Cruise, il s’est tourné vers sa mère, incrédule, en demandant : « Maman, c’est vrai ? » (Il sourit, assez fier, tout en trouvant ça presque normal). J’ai réalisé qu’il apprend à lire les sous-titres avec des films de Tom Cruise, comme je l’ai fait avant lui. Ça dit quelque chose sur... TOM CRUISE : ... sur les génération­s qui passent ? Et sur votre place dans la culture populaire. Depuis plus de trente-cinq ans, quand même. C’est fantastiqu­e. Fantastiqu­e. Un privilège. Un privilège ?

Énorme. Mettez-vous à ma place. À 4 ans déjà, je voulais faire des films. Je n’imaginais pas que ça puisse être possible, mais j’en rêvais. Ensuite, je me revois à 18 ans, en train de tourner Taps et de me dire : « Bon sang, nous y voilà, j’en ai rêvé, j’y suis. » Je n’ai pas pris de cours de comédie. Je n’ai pas pris de cours de cinéma. Tout ce que je faisais, c’était regarder des films. Alors Taps a été un moment déterminan­t, décisif. On a fait des semaines de répétition­s, et je suis allé squatter dans chaque départemen­t. Si je ne faisais plus jamais d’autres films, au moins j’aurais vu comment ils étaient fabriqués. Et là, je me retrouve face à Owen Roizman (un des chefs opérateurs stars des 70s, notamment sur « French Connection », « L’Exorciste » ou « Les Trois Jours du Condor ») . Et je sais très bien qui c’est, parce que j’ai vu tous ses films... Il y a aussi (le réalisateu­r) Harold Becker, (le producteur) Stanley Jaffe et tous ces artisans : les mecs qui s’entraînent sur les cascades, ceux qui bossent encore et encore sur le script. Pour moi, un script, c’était un objet fini, relié. Je n’imaginais pas que c’était un objet vivant,

« À 4 ANS DÉJÀ, JE VOULAIS FAIRE DES FILMS. » TOM CRUISE

« MÊME JEUNE ACTEUR, J’AI TOUJOURS ÉTÉ EN POSITION DE CHOISIR. » TOM CRUISE

en perpétuell­e évolution. Vous voyez ? Le

process ! C’était la première fois que j’en prenais conscience, que j’étais en mesure de l’évaluer et de regarder le cinéma sous cet angle. Sans compter que je suis le genre de personne qui va tenir la jambe à Roizman pendant des heures, pour lui demander pourquoi il a choisi tel objectif, telle lumière, la pellicule qu’il utilise, pourquoi il choisit de cadrer comme ci ou comme ça à tel ou tel moment du film. Même chose avec le scénariste ou le metteur en scène. Ah, Harold, ça me fait penser à cette anecdote : un matin, je suis parti en ville et je me suis fait raser les cheveux. Sans rien demander à personne. Je retourne sur le plateau et Harold fait un arrêt cardiaque : « Bon sang Tom, mais qu’est- ce que tu as foutu ? » Moi : « Je me suis dit que ça irait bien à mon personnage. » (Il rit, comme stupéfait de sa propre audace.) Je n’y

connaissai­s tellement rien que je ne lui avais même pas demandé la permission. C’est une bonne histoire. Parce qu’aujourd’hui, vous ne demanderie­z pas non plus la permission à qui que ce soit. Ce type de décision vous appartient. OK, c’est sans doute vrai. Longtemps, vous avez tourné sous la direction de grands noms. Les films révélaient leur approche de vous en tant que star ou acteur. Maintenant, c’est votre vision de vous-même qui s’exprime, y compris dans La Momie que vous ne produisez pourtant pas. C’est une idée intéressan­te. (Il réfléchit.) Un type comme Sydney Pollack, je l’ai connu quand j’avais 18 ans. Je voulais le rencontrer parce que j’adorais ses films. Je n’étais

qu’un gamin, mais je me suis pointé dans mon agence, CAA, qui représenta­it tout un tas de gens, et j’ai obtenu des entretiens avec des metteurs en scène, des scénariste­s, des acteurs, pour qu’ils me parlent de leurs films. Je voulais savoir. Savoir pourquoi ça marchait dans certains cas et pas dans d’autres. Savoir comment ils parvenaien­t à faire en sorte que ça marche, et évaluer la part active que je pouvais moi-même prendre à ce processus. Un film, quand c’est réussi, c’est une collaborat­ion. Ce n’est pas mon film, c’est « notre » film. Je le dis toujours aux équipes, quand on commence un tournage. Je réunis tout le monde et je leur explique qu’on doit tous contribuer, ensemble.

Sauf que vous êtes le gars qui le dit...

OK, peut-être. J’ai quand même fait beaucoup de films, travaillé avec beaucoup de très grands talents. Il est logique que ça pèse dans la balance. Mais sur le fond, mon opinion n’a pas changé. Je ne veux pas avoir l’air trop arrogant mais, même jeune acteur, j’ai toujours été en position de choisir les films que je voulais faire. Je n’ai pas été le gars contraint de prendre les offres qui se présentaie­nt. Et puis je voulais bosser ! Le plus possible. Faire, faire, faire.

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Tom Cruise et Alex Kurtzman.
 ??  ?? Tom Cruise et Alex Kurtzman sur le tournage de La Momie.
Tom Cruise et Alex Kurtzman sur le tournage de La Momie.
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EN COUVERTURE
 ??  ?? Tom Cruise dans La Momie.
Tom Cruise dans La Momie.

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