Première

RENCONTRE

Une suite à Blade Runner et un nouvel Alien vont débarquer dans les salles, faisant souffler un parfum de tournant des années 80 sur 2017. Ridley Scott, lui, sait bien que sa mission a plus à voir avec le futur qu’avec le passé : il s’agit de relancer pou

- PAR SYLVESTRE PICARD

Ridley Scott

Peut-on encore parler cinéma avec Ridley Scott ? En 2017, le réalisateu­r sort Alien – Covenant, nouveau prequel d’Alien – Le 8e Passager, et produit Blade Runner 2049, mis en scène par Denis Villeneuve. Soit des remakes/ reboots de ses deux merveilles SF séminales et indépassée­s. Après avoir vu une quinzaine de minutes d’Alien un extrait hyper efficace, sanglant, mais un extrait seulement, on s’est assis avec Sir Ridley pour parler de peinture, de réalisme, de mythologie, de Dieu, de films non réalisés, et d’espace où personne ne vous entend crier. – Covenant,

PREMIÈRE : Alors que Prometheus avançait plus ou moins masqué, avec

Alien – Covenant, vous vous reconnecte­z littéralem­ent avec la mythologie du premier Alien.

RIDLEY SCOTT : Avant la sortie de Prometheus, les gens de la Fox sont venus me voir : ils voulaient ressuscite­r la franchise Alien pour de bon. Si vous regardez les trois premiers Alien – pardon, les quatre premiers

Alien – ce sont des films très simples : Qui va mourir en premier ? C’est tout. Ça a toujours été des films de série B pour moi. Faits avec des moyens de série A, certes, mais des séries B. Pour bâtir une franchise, il fallait aller au-delà : explorer le comment, le pourquoi. On a donc fait Prometheus pour expliquer ce qu’était le Space Jockey du premier film (la créature géante découverte par

l’équipe du Nostromo). On a donc imaginé les Ingénieurs, cette race d’êtres surpuissan­ts qui ont peut-être créé l’humanité... Dans 2001 – L’Odyssée de l’espace, il y a ce monolithe noir qui apparaît à des instants clés de l’évolution : un singe le touche et boum, il crée une arme et détruit le squelette d’un de ses copains. C’est l’inspiratio­n de notre mythologie. Il n’y a pas de Dieu avec une longue barbe, il y a des Ingénieurs. Vous évoquez Dieu, une question qui anime votre cinéma. Alien – Covenant, c’est l’arche d’alliance (« ark of the

covenant » en anglais). Est-ce qu’il y a un lien thématique entre cet Alien et

Exodus – Gods and Kings qui s’achevait sur Moïse forgeant les Tables de la loi ? Peut-être bien. Covenant, c’est le nom du vaisseau qui transporte 2 000 colons en hypersomme­il et du matériel de terraforma­tion. On a pensé aux pères fondateurs 64 des États-Unis, partis à la conquête d’un nouveau monde. Appeler ce vaisseau

Covenant, c’est évoquer à la fois la promesse du Nouveau Monde, un lien religieux et indestruct­ible. Dans la mythologie, Alien

– Covenant représente la phase de colonisati­on où l’on envoie des vaisseaux bondés de gens accomplir des voyages à travers des systèmes solaires entiers, sur des durées hallucinan­tes. Vos films partent souvent d’images très fortes : celles de Giger, Moebius et Francis Bacon pour le premier Alien. Les peintures de William Blake et les sculptures de Michel-Ange pour

Prometheus. Alien – Covenant a-t-il suivi le même processus ? Nous sommes repartis sur les mêmes bases visuelles que le premier Alien que vous évoquez. J’ai connu Moebius personnell­ement, il a conçu les scaphandre­s du film... Je voulais

adapter sa BD Arzach. Je veux toujours le faire, d’ailleurs. Mais voilà, il est mort en 2012 et comme il s’est marié plusieurs fois, son héritage est un peu compliqué à gérer. Je reviens toujours au travail qu’il a réalisé pour le magazine Métal Hurlant. Sa BD The Long Tomorrow (écrite par Dan O’Bannon, scénariste d’“Alien”) est une des sources de Blade Runner. J’ai découvert le boulot de Giger avec son livre Necronomic­on dans lequel il y avait déjà tous les designs que nous allions utiliser : la créature, la planète... Tous, sauf un : le Chestburst­er (le petit alien

qui sort de la poitrine de John Hurt). Je lui ai demandé de le dessiner et il n’y arrivait pas. Il me montrait des croquis de petits dinosaures... Il fallait que ce soit obscène, choquant, une véritable naissance extraterre­stre. C’est là que je me suis tourné vers Francis Bacon. Son triptyque Trois études de figures au pied d’une crucifixio­n a été l’inspiratio­n directe du Chestburst­er.

« DANS 2001 – L’ODYSSÉE DE

L’ESPACE, IL Y A CE MONOLITHE NOIR QUI APPARAÎT À DES INSTANTS CLÉS DE L’ÉVOLUTION. C’EST L’INSPIRATIO­N DE NOTRE MYTHOLOGIE. » RIDLEY SCOTT

Est-ce que vous peignez toujours ? Oui. Tous les week-ends.

Et que peignez-vous ? De grandes toiles. Au moins deux mètres de long. Je pense que je suis plutôt réaliste.

(Sourire.) Attendez, je vous montre. (Il sort son iPhone et fouille dans les photos.)

Vous faites quoi de vos toiles ? Je les garde dans un coin, je les offre à Noël. (Il nous présente l’écran de son téléphone : de grandes toiles, effectivem­ent, qui représente­nt des îles paradisiaq­ues à l’horizon. D’autres, plus petites, montrent des animaux dans la jungle.) Là, j’ai essayé de faire un coin du Costa Rica, il me semble. Oui, je suis un réaliste, depuis toujours, je crois. Quand j’étais étudiant, on me parlait de pop art, d’abstractio­n, ça ne m’a jamais intéressé. Je vois quelque chose et j’essaie de le reproduire sur la toile. D’une certaine façon, j’essaie de faire la même chose avec une caméra. En fait, quand j’ai repris la peinture il y a cinq ans, j’ai mesuré à quel point j’avais évolué dans ma technique. C’est très proche de l’éclairage d’un plan au cinéma. Choisir l’angle, la lumière, la palette. Et ce sont mes décisions qui déterminen­t ce que l’on voit. En résumé, faire du cinéma m’a aidé à devenir un meilleur peintre.

À vos débuts, vous insistiez pour manier la caméra vous-même, ce qui ne plaisait pas trop à vos chefs opérateurs...

Je le fais toujours. Enfin, maintenant, cela a moins de sens puisque je tourne avec six caméras simultaném­ent. Six moniteurs allumés en même temps. Je peux tout vérifier d’un coup. Ça me vient de mon expérience télévisuel­le, avec cette multitude de caméras qui devaient enregistre­r un maximum de choses. On devait penser en permanence à la géométrie d’une scène, à composer la lumière pour qu’elle soit efficace sous chaque angle de caméra différent. Prenez La Chute

du faucon noir, par exemple : une rue de 300 mètres de long avec des centaines de figurants, les hélicoptèr­es qui s’agitent. On a utilisé onze caméras en tout, trois ici, trois par là... Tu cries « action », et tout doit se mettre en marche. Tu crées de la réalité.

On revient encore à cette idée de réalisme. Vos films sont fondamenta­lement réalistes.

Je dirais plutôt que je viens de l’école de la représenta­tion. Bacon était un grand artiste réaliste. Picasso aussi, il dessinait extrêmemen­t bien, extrêmemen­t vrai. Hockney est passé par plusieurs phases, mais pour atteindre sa simplicité à la Matisse, il lui a fallu des années et des années d’entraîneme­nt et de travail. Et il a commencé par être figuratif. Mais j’aime aussi les abstraits comme Rothko, ou ce peintre allemand, Neo Rauch, qui s’inspire du réalisme socialiste pour mieux le détourner... La peinture demande une endurance hallucinan­te, tout comme la réalisatio­n d’un film.

Pourtant, même avec vos films d’époque, vous n’avez jamais fait de « film pictural » où l’enjeu est de reproduire des tableaux.

Non, c’est vrai. Quand j’ai tourné Les Duellistes, je venais de voir Barry Lyndon. Ça m’avait marqué et j’ai essayé de faire plus ou moins la même chose. La différence c’est que j’avais exercé mon oeil en tournant beaucoup de publicités, et il faut avoir l’oeil rapide dans ce métier. Sur le tournage, en Dordogne, il venait de pleuvoir et la lumière était spectacula­ire. À Cannes, des critiques m’ont reproché d’être trop beau, d’avoir utilisé trop de filtres pour trafiquer la lumière. « Non, c’était naturel, il n’y a pas de putains de filtres ! Allez-vous faire foutre ! » (Rire.)

À mon avis, Barry Lyndon essaie trop de copier des tableaux. Les compositio­ns de Hogarth, la lumière de De la Tour dans les scènes à la bougie, par exemple.

Oui, peut-être que Kubrick peignait trop... Mais, pour tourner ces scènes, il a demandé

 ??  ??
 ??  ?? L’équipage du atterrit sur une planète hostile. Covenant
L’équipage du atterrit sur une planète hostile. Covenant
 ?? – Covenant. ?? Ridley Scott et Katherine Waterston sur le tournage d’Alien
– Covenant. Ridley Scott et Katherine Waterston sur le tournage d’Alien

Newspapers in French

Newspapers from France