Première

LE CINÉMA EST-IL PLUS IMPORTANT QUE LA VIE ?

- Laurent Bouzereau Saints et disciples

la brutalité des combats, sans pour autant décourager la Nation, bras de fer permanent avec les autorités pour que leurs oeuvres ne soient pas dénaturées avant d’être montrées au public ou aux soldats. Sur ce point, la meilleure phrase revient sans doute à John Huston, toujours à propos de La Bataille de San Pietro : « Ils m’ont accusé d’avoir fait un film anti-guerre. Je leur ai répondu : “Le jour où je fais un film pro-guerre, abattez-moi !” » Entre hagiograph­ie de cinq réalisateu­rs mythiques et mise en abîme du métier de cinéaste, Cinq Hommes et

une guerre maintient toujours son cap. Pas d’images inédites, Laurent Bouzereau insiste sur le fait que : « C’est la manière dont on les met en valeur qui est nouvelle. » Le documentai­re s’inscrit dans une approche de la cinéphilie contempora­ine qui tend à considérer la théorie des auteurs comme une histoire réglée, pour s’attarder sur les réalités souvent plus triviales qui régissent le corpus d’une oeuvre. Des fictions comme le récent Dalton

Trumbo (2015), de Jay Roach, ou le portrait de Brian De Palma, réalisé par Noah Baumbach et Jake Paltrow ( De Palma, 2015), montrent que les événements (la chasse aux sorcières ou les échecs commerciau­x, la guerre comme les divorces) ont souvent plus d’impact sur les choix de carrière des cinéastes que leur souci de créer une oeuvre cohérente. « C’est la question que posait Truffaut dans La Nuit américaine, nous confie Laurent Bouzereau. Le cinéma est-il plus important que la vie ? Et c’est ce que raconte Cinq Hommes et une guerre : comment ces grands artistes regardent ce qui se passe dans le monde. Ils se retrouvent au premier plan, sont témoins de choses terribles, il leur est impossible de revenir intacts... Ces cinéastes, je les ai découverts quand j’étais jeune, je connaissai­s leurs films. Mais les reconsidér­er avec une telle perspectiv­e historique a été une révélation. »

Netflix

Le grand mérite des producteur­s et des auteurs de Cinq

Hommes et une guerre est d’avoir « revampé » ce qui aurait pu être un pensum rébarbatif pour rats de cinémathèq­ue comme un vrai produit d’appel Netflix, avec des stars, une production soignée, un traitement cinq étoiles et même (ces gens pensant décidément à tout) des films comme Memphis Belle de William Wyler ou La Bataille

de Midway de John Ford en complément­s de programme. Laurent Bouzereau : « Quand on a commencé le projet, Ben Cotner, l’un des producteur­s chez Netflix, a tout de suite dit qu’il fallait récupérer les droits des films qu’on évoquait. Donc, pendant que j’étais au travail, Netflix est parti en croisade pour en réunir un maximum. » De fait, l’intérêt majeur de son entreprise réside dans la relecture qu’il nous offre des films de chacun des « Five », et de mieux mesurer comment cette expérience s’inscrit au sein de leurs oeuvres, en plein milieu de leurs vies. Encore une fois, le fait que les intervenan­ts soient eux-mêmes des cinéastes et non des historiens ou des critiques déplace le sujet de l’analyse vers une lecture beaucoup plus émotionnel­le et humaine. Bien sûr, le film permet de rappeler qu’être témoin de l’Holocauste a sans doute poussé George Stevens, grand maître de la comédie des années 30, à devenir l’auteur torturé d’Une

place au soleil. Mais il montre aussi, surtout, comment et pourquoi ces hommes occupés à gagner des Oscars (à eux cinq, ils en cumulent treize du meilleur réalisateu­r), ont tout quitté, tout risqué, y compris leurs vies pour aller filmer l’enfer. Comment ils en sont ressortis transformé­s. Et Hollywood avec eux. u CINQ HOMMES ET UNE GUERRE De Laurent Bouzereau • Documentai­re • Durée 3 x 1 h 00 • Sur Netflix.

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