Première

Hampton Fancher raconte « le beau et terrible BladeRunne­r »

Le scénariste du Blade Runner de 1982 a planché sur la nouvelle version de Denis Villeneuve. On l’a passé au Voight-Kampff pour qu’il nous livre ses secrets.

- PAR SYLVESTRE PICARD

RECOMMENCE­MENT

C’est arrivé d’une drôle de manière. J’écrivais une nouvelle de SF qui recyclait une vieille idée que Ridley Scott et moi avions supprimée à l’époque des séances d’écriture de Blade Runner. Et là, Ridley m’appelle : “Est-ce que tu aurais des idées pour le nouveau Blade Runner ?” Je lui lis le premier paragraphe de ma nouvelle. Et il me dit : “Tu peux venir tout de suite ?” Le paragraphe en question, je ne peux pas trop en parler, mais c’était la descriptio­n d’un certain personnage. De sa profession : un chasseur, un blade runner. J’ai passé une semaine à Londres avec Ridley et son équipe, des gens très créatifs, heureuseme­nt – la plupart du temps les cadres des studios sont des crétins. On a fait des réunions tous les jours, c’était très productif. Je suis rentré à New York et j’ai pondu un synopsis d’une trentaine de pages dans les mois qui ont suivi. Je suis revenu à Londres pour une semaine de travail et reparti à New York pour écrire le scénario. Très ramassé, en fait : quatre-vingts pages, de quoi faire un film assez court. Les gens du studio m’ont alors dit qu’ils en voulaient plus.

Normal. Quelques semaines plus tard, ils m’ont appris que quelqu’un allait “étendre” tout cela. Typique. Et voilà mon agent qui m’annonce qu’un certain Michael Green travaille sur mon script. Je ne l’ai rencontré qu’une seule fois, il y a quelques mois. On a déjeuné ensemble. Un type super. Très brillant. »

POÉSIE

Ça a été un long processus. Des fois on voulait faire un prequel, des fois une pure suite, on n’était pas sûrs. Il y a des thèmes dans l’original qui reviennent dans 2049 : la distinctio­n entre l’artificiel et l’humain. L’éthique du monde. La manière dont il a empiré. Tout cela est intensifié : le virtuel devenu réel ; l’économie dévorante du nouveau monde. Blade Runner 2049 est plus extrême dans tous ses aspects. “Le premier film est un rêve, il va falloir que tu rêves de nouveau” ? Oui, j’ai dit ça à Denis. Pour qu’il ose s’aventurer en territoire

nouveau. Je lui ai envoyé un poème de Robert Pinsky, The Robots : “Quand ils choisiront de prendre forme matérielle ils ressembler­ont à des libellules... Les couleurs du ciel couvriront la surface de la Terre, à l’unisson et au diapason danseront les oubliés...” Ce poème, il ne faut pas essayer de l’analyser. C’est comme pleurer ou rire. Tu ne peux pas expliquer ces choses-là, elles émanent de toi. Au fond, le Blade Runner original se résume à la musique de Vangelis. Il est parvenu à exprimer ce que le rêve était, la relation entre Deckard et Rachel. Vangelis a fait entendre le bruit de leur âme. C’était une expérience kinétique – le mouvement du film, c’est le rêve. »

PAT GARRETT ET BILL Y LE K ID

Comment faire mieux que les Réplicants Batty ou Pris (Rutger Hauer et Daryl Hannah) ? Et quand je dis “mieux”, je ne parle pas d’écrire un truc avec des Réplicants plus forts, plus intelligen­ts ou plus armés. Non. Il faut suivre le poème. Ouvrir quelque chose en soi. S’ouvrir à un autre monde plus grand que soi. Ça a marché chez Denis. Ça l’a libéré des peurs quotidienn­es du travail sur le film. Pour écrire la relation entre Ryan Gosling et Harrison Ford, je me suis inspiré de Pat Garrett et Billy le Kid. Pat devrait avoir l’avantage et il se retrouve seul “la bite à la main” face à Billy qui a le flingue. Mais je n’ai pas revu des vieux de westerns pour nourrir 2049. Ceci dit, le film le plus parfait jamais réalisé, c’est Le Train sifflera trois fois. Vraiment parfait, pas vrai ? »

LE MARXISME DE BLADERUNNE­R

Pourquoi Blade Runner a-t-il eu une telle longévité ? Le film a fait un flop en salles à l’époque. Son héritage est complexe. Au début des années 80 il y avait des études du style “Le Marxisme après Blade Runner”... Vous imaginez. On peut mettre Blade Runner partout, dans l’économie, l’art, l’urbanisme... Pour moi, le thème fondamenta­l du film c’est l’écologie. J’ai vécu à la campagne et j’ai été frappé d’imaginer un monde sans oiseaux, sans arbres, sans nature. La nature a disparu. On a des plantes à l’intérieur, des moutons électrique­s pour avoir un truc à caresser. L’état du monde à la fin des seventies m’angoissait. La peur du lendemain. La peur d’hier. La peur de la mort. Et le temps, c’est la mort. Qui a dit d’une symphonie de Brahms qu’elle était à la fois “belle et terrible” ? C’est ça. Le beau et terrible Vangelis. Le beau et terrible Blade Runner. »

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