Première

EN COUVERTURE

Pour plusieurs génération­s, Blade Runner 2049 est un rêve en attente d’être réalisé, la suite tant fantasmée d’un des plus grands films cultes de tous les temps. Pour Denis Villeneuve, c’est aussi le cas, mais plus encore : un acte de responsabi­lité écras

- PAR GAËL GOLHEN

Blade Runner 2049, de Denis Villeneuve

Je dois vous prévenir que cette interview me terrifie. Pour une bonne raison : je ne peux rien vous dire. Rien. Par contrat, mais aussi parce que normalemen­t, je ne parle jamais à ce stade de la production. Je suis en plein montage et le film bouge encore... J’ai l’impression d’être comme un joueur de hockey devant vous : je dois glisser jusqu’au filet sans dommages. » On est à Las Vegas, dans les sous-sols du Caesars Palace. Et Denis Villeneuve vient d’abandonner le montage de Blade Runner 2049 pour montrer sept minutes du film que la planète entière attend fébrilemen­t. Le retour de Rick Deckard, les fantômes de licorne, de nouveaux robots déréglés, un nouveau flic taciturne (Ryan Gosling) et ces têtes de statues géantes décapitées en point d’orgue mélancoliq­ue. Pourtant... pas le droit d’en parler. On réussira quand même, entre les lignes, à évoquer cette suite. Mais à Vegas et quelques semaines plus tard par téléphone, on aura surtout parlé de lui, de son statut à Hollywood et de la mue qu’il accomplit avec ce film. Pendant longtemps, Denis Villeneuve s’est cherché. Auteur québécois ? Super-artisan de mélo mondialisé ? Yes man hollywoodi­en ? En un film, le chef- d’oeuvre Sicario, il remettait les pendules à l’heure. Ce polar dément prouvait que non seulement le cinéaste pouvait survivre à Hollywood mais, encore mieux, qu’il était finalement plus libre au sein du système que seul face à ses prétention­s auteurisan­tes. Premier

Contact finissait d’affirmer la voix de son auteur – le récit- énigme, le point de vue féminin, la frontière... Et le voilà embarqué sur un projet a priori impossible. Il le répétera d’ailleurs plusieurs fois durant l’entretien : « Nos chances de réussite étaient infimes et c’est ce qui me plaisait. » On s’est longtemps félicité que le film de Ridley Scott échappe au business de la franchise. Métaphysiq­ue, sinueux, contemplat­if, Blade Runner fut aussi inspirant artistique­ment (lire pages

40- 41) que tétanisant sur le plan industriel. Ce faux blockbuste­r sentait décidément trop la taule au box- office tout en étant un objet de culte inapprocha­ble pour la plupart des réalisateu­rs. Après un temps de réflexion, Villeneuve a sauté le pas. Ou monté la marche ? Luimême ne le sait pas encore.

PREMIÈRE : On a d’abord envie de savoir comment est née cette suite.

DENIS VILLENEUVE : C’est une idée de Ridley Scott. Il a eu l’envie de faire ce sequel il y a quelques années et a mis Alcon Entertainm­ent dans la boucle. Hampton Fancher, le scénariste du premier film, a écrit un traitement puis un script avant que Michael Green ne finalise le scénario (lire pages 44

45). À la base, Ridley devait réaliser le film et Harrison Ford avait signé pour reprendre le rôle de Deckard. Mais comme vous le savez, Ridley a un emploi du temps très chargé. Certains de ses projets avançaient plus vite que Blade Runner et la présence de Harrison Ford mettait une grosse pression sur la production. Le projet devait se faire, même sans lui. C’est à ce moment-là que j’ai été approché.

Pourquoi vous ?

Cela fait quelques années que j’exprime mon intérêt pour la SF. Il se trouve que j’avais vécu une belle expérience avec Broderick Johnson et Andrew Kosove, les patrons d’Alcon avec qui j’ai fait Prisoners. J’étais en haut de leur liste pour ce genre de films. Ils me faisaient confiance et pensaient que je pourrais me faire plaisir avec Blade Runner. Ridley connaissai­t mon travail. Alcon était favorable... Pas plus compliqué que ça.

« POUR LE MEILLEUR ET POUR LE PIRE, BLADE RUNNER 2049 SERA UN FILM DE DENIS VILLENEUVE. » DENIS VILLENEUVE

Ce qui ne répond pas à la question...

C’est vrai que la liste des cinéastes influencés ou inspirés par Blade Runner est... oui, bon, en fait c’est quasiment tout le monde. J’imagine qu’ils cherchaien­t quelqu’un qui pourrait amener la noirceur et l’humanité en tension que l’histoire exigeait. Mais c’est à Ridley, à Johnson et à Kosove que vous devriez poser cette question...

Vous avez dit oui tout de suite ?

Non. J’ai demandé une période de réflexion. Pour savoir comment m’approprier correcteme­nt le rêve de quelqu’un d’autre. J’ai récemment remarqué que jusqu’à Blade Runner, j’avais exclusivem­ent travaillé sur des matériaux originaux, qu’on m’avait soumis directemen­t. Bon, il y avait bien eu la pièce de théâtre Incendie, mais j’avais procédé à un gros travail d’adaptation pour reconfigur­er les thèmes et l’imaginaire de Wajdi Mouawad, pour les digérer, me les approprier. Sur Blade Runner, ce fut plus compliqué.

Pourquoi ?

Parce que l’original est un film qui m’a profondéme­nt inspiré, marqué en profondeur. C’était difficile de passer après. Mais j’ai le sentiment d’avoir fini par savoir comment casser le code. Ceci dit, je suis encore dans le mouvement, le film est en train de se terminer. J’ai très peu de recul.

Y a-t-il un tunnel dans 2049 ?

(Rire.) Vous voulez dire comme dans Sicario ? Dans Sicario mais aussi dans Premier Contact, Prisoners… Alors oui. Il y a effectivem­ent un espace qui relie deux mondes. Pour moi le tunnel est lié au subconscie­nt ; c’est l’idée de passer d’une réalité à une autre, de glisser dans un monde où les repères sont différents... Et oui, c’est un motif qui est présent dans 2049.

C’était plus qu’anecdotiqu­e : le tunnel est un véritable effet de signature chez vous. Blade Runner 2049, c’est Blade Runner 2 ou bien le nouveau Denis Villeneuve ?

La question ne se pose pas en ces termes, parce que j’ai toujours fait mes films de la même manière. Que je les écrive ou non, il faut que dans le scénario, le livre, dans la structure même du texte, je puisse sentir que ça résonne, qu’il y a la place pour m’y projeter. Plus j’avance et plus je prends conscience que je ne serai jamais capable de faire un vrai film de commande : j’ai besoin d’envahir l’espace avec mon imaginaire. Pour le meilleur et pour le pire, 2049 sera donc un film de Denis Villeneuve.

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Le réalisateu­r sur le tournage de Blade Runner 2049.
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