FUTUR PROCHE
Quasiment enterrée par l’industrie du jeu vidéo, c’est de France et de la fiction ciné que peut venir le salut de la réalité virtuelle. Explications.
La VR made in France
Les signaux d’alerte résonnent aux quatre coins de la planète, les observateurs spécialisés publient les actes de décès officiels dans leurs journaux respectifs, les banquiers coupent les vivres et la Silicon Valley fait la moue : la réalité virtuelle appartiendrait déjà au passé. On a à peine eu le temps de s’enthousiasmer pour ce médium aussi sidérant que balbutiant que l’on nous intime déjà l’ordre de passer à autre chose. Un emballement morbide, aussi fulgurant, unanime – et donc suspect – que la révolution annoncée en fanfare il y a un an avec l’arrivée des premiers casques VR haut de gamme dans nos salons (enfin, les salons des gens très riches). Les arguments ont l’air solide : les ventes de matériel ne décollent pas, celles des jeux VR non plus, le modèle économique semble incernable et les mastodontes impliqués dans l’affaire (Sony via sa
PSVR ou Facebook via l’Oculus Rift) semblent avoir définitivement lâché l’affaire en termes de com. Tout est vrai. Par ailleurs, force est de constater que le mode opératoire des différents systèmes, à base de capteurs placés aux quatre coins des pièces et de dizaines de fils rattachés aux différents casques, n’implique pas un confort de jeu hors du commun. Alors ? Fini ? Enterrée la VR ? L’erreur des observateurs se situe peut-être là, au fond, dans la volonté de circonscrire la réalité virtuelle au seul territoire du jeu vidéo et donc de l’usage purement domestique. Progressiste par essence et dotée d’une force de frappe sans équivalent dans le monde du divertissement, l’industrie vidéoludique n’est pourtant pas l’endroit idéal pour nourrir et faire fleurir un médium aussi hybride, transgenre et imprévisible que la réalité virtuelle. Les rares élus qui ont pu goûter au film VR, Carne y Arena, réalisé par Alejandro González Iñárritu et présenté au dernier Festival de Cannes, savent déjà que ce « 10e art »
(comme l’a qualifié le réalisateur mexicain) trace surtout des ponts entre le loisir interactif, le cinéma et l’installation d’art contemporain. Par ailleurs, l’ouverture il y a peu d’un espace VR dans un cinéma MK2 du 13e arrondissement parisien est couronné pour l’heure d’un vrai succès public, et l’argent commencerait même à remonter du côté des producteurs par ce biais-là. De fait, ce n’est pas parce que les éditeurs de jeux font soudain la tête, qu’il faudrait enterrer la VR dans le même cimetière que le motion gaming et autres technologies gadgets, qui n’ont duré que le temps d’un été.
La France à la rescousse
Seul réalisateur français d’envergure à avoir d’ores et déjà embrassé le procédé, Jan Kounen est en pleine post-production de 7 Lives, un projet VR dans lequel on flottera d’une âme à l’autre. Il boucle aussi le financement de Kosmovision, un trip plus expérimental où l’on goûtera à ses habituelles visions chamaniques, enfermé dans un monde en CGI-3D (Computer Generated Imagery) à 360°. Il croit toujours dur comme fer au support : « Chaque film, chaque application, chaque jeu, chaque micro-changement technologique fait faire des pas de géant au médium. Pour l’instant, tout le monde trifouille dans son coin. Comment raconter au mieux une fiction ? Comment mieux intégrer le joueur à l’environnement ? Comment alléger le matos ? Dans quel endroit faut-il consommer cela ? Et tout le monde propose des réponses, Iñárritu comme les étudiants des Gobelins, ça mitraille dans tous les coins, ça ne s’arrête jamais. Nous sommes au carrefour de plusieurs formes d’art, théâtre, peinture, cinéma, jeu, que le médium transcende complètement en termes de sensations. Il faut juste se montrer un peu patient. » Même son de cloche du côté des producteurs de Kosmovision, Antoine Cayrol et Pierre Zandrowicz, patrons du studio spécialisé Okio : « Il n’y aura pas de changement de paradigmes avant trois ou cinq ans, c’est sûr. Même quand on en discute entre nous, on est d’accord sur rien : certains pensent que l’avenir du support, ce sont les galeries d’art, d’autres jurent que c’est le salon de monsieur tout-le-monde. Nous sommes spécialisés dans la fiction. Outre Jan, on travaille déjà avec des réalisateurs français très connus qui sont surexcités par les possibilités offertes. Mais, une fois de plus, la fiction ne sera peut-être qu’une infime part de ce que proposera la réalité virtuelle dans l’avenir. L’avantage est que ce domaine bénéficie de beaucoup d’aides publiques : le CNC, les régions, Arte, etc. De fait, pour l’instant, c’est plus simple de bosser sur le “versant ciné” de la VR, car c’est complètement intégré à notre “exception culturelle” et on est devenu l’un des pays les plus à la pointe dans ce domaine. On va pouvoir développer une vraie French touch de la VR et on aura le temps de se poser les bonnes questions... » En jetant un coup d’oeil aux deux films produits pour l’instant par le studio Okio, les superbes I, Philip et
Altération, on a surtout pu constater que ces garçons-là avaient déjà trouvé certaines réponses, plongeant la fiction VR dans un grand bain émotionnel qui titille les glandes lacrymales. Ils ont su établir une nouvelle forme de langage intégrant à leurs projets la dimension mélancolique du montage, la place charnière offerte au spectateur-caméra, le rapport charnel qui se développe face aux acteurs et la rythmique lancinante du storytelling. Deux films démentiels qui annoncent que le meilleur est non seulement à venir, mais qu’en plus, il est déjà là. L’oraison funèbre est repoussée aux siècles prochains.