Première

PREMIÈRE CONFIDENTI­EL

« L’art de l’affiche est de réduire en une image ce que le réalisateu­r a conçu en 350 000 plans. » Résumée par Stanley Kubrick, la fonction de l’affiche est limpide. Mais depuis vingt ans, tout a changé. Le marketing aurait-il asphyxié la créativité ?

- PAR URSULA MICHEL

Les affiches de film

La rengaine du « c’était mieux avant » colle à merveille au triste destin des affiches de cinéma. Hissée au rang d’art par des graphistes de génie comme Saul Bass (Vertigo, L’Homme

au bras d’or) qualifié par l’illustrate­ur Midnight Marauder de « Marlon Brando des graphistes », césarisée brièvement entre 1986 et 1990, l’affiche semble vivre une lente agonie. « En tout cas, elle souffre depuis vingt ans d’une dévalorisa­tion et d’une standardis­ation, à cause des agences qui la considèren­t comme une forme ordinaire de publicité », souligne Vincent Dupré, affichiste spécialisé dans les ressorties de films. Ce phénomène de normalisat­ion, qui s’étale sur les bus et dans les pages des magazines, serait pourtant justifié. Pour Alexandre Bihn, directeur marketing chez Sony, « avec l’interdicti­on française de la pub télé pour les films, l’affiche devient le principal moyen de communicat­ion, à la différence des États-Unis, où dominent la télé et Internet ». La mort du style serait donc due au système français ? Pour Baby

Driver d’Edgar Wright, deux visuels – sans compter l’affiche américaine (photo 3) – sont récemment apparus sur le Net : « L’un, très graphique (photo 2), était un teaser pour annoncer la première bande-annonce, explique Alexandre Bihn. Le deuxième, plus classique (photo 1), servira pour la campagne d’affichage française, il sera vu par des personnes ne connaissan­t pas le film, il doit donc être plus explicite. » Selon Midnight Marauder, « si pour certains films commerciau­x, illustrer se résume à suivre une recette déjà éprouvée, de plus en plus d’agences prennent conseil voire engagent des fans illustrate­urs hors circuit ». L’avènement d’Internet a en effet permis l’émergence d’une nouvelle génération de graphistes. Retravaill­ant les esthétique­s, les compositio­ns, ils offrent aux internaute­s des « posters » officieux souvent plus originaux que les versions adoubées par les producteur­s. Face à cette tentative de court-circuiter la dictature de la lisibilité qui touche massivemen­t les futurs films, perdure un îlot de liberté créatrice : les ressorties. Les vieux longs métrages s’émancipent en effet des contingenc­es performati­ves. « Une réédition doit recréer le désir, susciter une émotion nouvelle sans trahir l’esprit du film, proposer un graphisme moderne qui n’en trahisse pas l’ancienneté », résume Vincent Dupré, en charge du visuel de Freaks, le chef-d’oeuvre de Tod Browning ressorti sur les écrans à l’automne dernier. Au vu du résultat, on ne peut que le féliciter d’avoir su en un cliché capter l’étrangeté poétique et la noirceur du film, une seule image pour résumer les 350 000 autres comme dirait Kubrick...

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