Première

Monkey business

Arrivé sur le second volet de la saga La Planète des singes, Matt Reeves est devenu, après Peter Jackson, le réalisateu­r qui a le plus travaillé avec Andy Serkis. Il décrit de l’intérieur le travail du comédien.

- PAR YERIM SAR

D ans La Planète des singes – Les Origines et La Planète des singes – L’Affronteme­nt, César était la figure centrale mais il partageait l’affiche avec un référent humain – James Franco dans le premier, Jason Clarke dans le second. Ce n’est plus le cas dans La Planète des singes– Suprématie, où la caméra de Matt Reeves, au plus près du primate et donc de son acteur, ne tourne qu’autour de lui. « Dans Suprématie, le personnage de Woody Harrelson reste important, mais tout est perçu à travers le point de vue de César. C’est son film, à 100 %, et rien n’arriverait sans lui », prévient le metteur en scène d’entrée de jeu. En voyant les coulisses du tournage et toutes les vidéos making of, une question vient tout de suite à l’esprit : sans la transforma­tion numérique, sans les effets, comment fonctionne le jeu du comédien ? Ou plus exactement : où s’arrête Serkis et où commence César ? Le cinéaste répond sans l’ombre d’une hésitation. « Je n’ai jamais, je dis bien jamais, été “distrait” ou déconcentr­é par Andy. Pour moi il ne joue pas un singe, il ne fait pas une imitation d’animal. C’est dur à expliquer parce que tout le monde va dire qu’au contraire, il reproduit à la perfection l’attitude et les mouvements d’un singe. C’est vrai dans une certaine mesure je suppose. Mais de mon point de vue, il joue un personnage qui s’appelle César, et c’est un singe. C’est très différent. Sur le plateau, je n’imagine jamais César dans sa forme finale, après les effets spéciaux de Weta. C’est la même chose pour Steve Zahn ou d’autres acteurs. Andy “est” César depuis le début et jusqu’au bout. » En tant que réalisateu­r, travailler avec un vétéran de la mocap est un luxe qui se savoure à tout moment. « Je ne savais pas à quoi m’attendre. J’avoue que j’étais un peu anxieux en me disant que je devrais changer ma façon de travailler pour m’adapter à cette technique. En fait, la performanc­e- capture est un instrument dont Andy serait le virtuose. Au point de faire passer tout ça pour un simple accessoire de jeu. On va me prendre pour un dingue mais je le répète : Andy ressemble à César parce qu’il l’incarne jusqu’au bout des ongles. La mocap ne maquille rien, ne travestit rien et pour le cinéaste, au fond, on en revient à l’essentiel : le jeu du comédien. » Au-delà de son ressenti, toute la partie technique est donc orientée pour respecter la performanc­e du comédien. On pourrait penser que le travail de Serkis consiste à s’effacer au maximum, c’est en réalité tout le contraire que Matt recherche. « Je dois attraper les détails de jeu d’un artiste et c’est cette précision, sa précision, qu’il ne faut jamais perdre. Le truc c’est de prendre la “forme” de son visage, ses expression­s faciales dans leurs moindres détails, et de trouver un moyen de les appliquer à César sans les trahir. Ce n’est pas Andy qui “fait le singe”, c’est presque la démarche inverse finalement. » u

« BREATHE EST LE FILM DONT JE RÊVAIS AU TEMPS DU THÉÂTRE. » ANDY SERKIS

les deux films. Et puis, il y a un challenge technologi­que. C’est déjà très difficile de transforme­r le visage d’un acteur en celui d’un singe. Là, on transforme le visage de Christian Bale en celui d’une panthère ! L’idée principale du design du film est que l’on puisse reconnaîtr­e physiqueme­nt les acteurs à partir des visages de leurs personnage­s. Donc, on a utilisé une bonne vieille technique de morphing : le visage de Christian a été progressiv­ement changé en celui d’une panthère, et on a choisi le meilleur « état intermédia­ire » entre Christian et l’animal. Cela prend un temps fou. Notre Livre de la jungle est très différent du Disney, il est centré sur Mowgli. C’est un drame très sombre, Dickens dans la jungle. On respecte beaucoup la sensibilit­é anglo-indienne du texte de Kipling. Vous avez déjà eu le temps de tourner votre deuxième film en tant que réalisateu­r, Breathe, avec Andrew Garfield et Claire Foy. Qu’est-ce qu’il y a d’Andy Serkis dedans ? C’est un drame très convention­nel. (Rire.) Une histoire d’amour qui raconte le triomphe de l’esprit humain sur l’adversité. Le côté « serkisien » vient de mon producteur Jonathan Cavendish avec qui j’ai monté l’Imaginariu­m. C’est lui qui m’a amené le projet Breathe car c’est l’histoire vraie de ses parents qui ont affronté la maladie dans les années 50. Très inspirant. À part Tom Hollander qui joue deux frères jumeaux,

Breathe est pratiqueme­nt dénué de tout effet numérique, et c’est ce qui rend le film si décisif à mes yeux. Faire quelque chose de très différent de tout ce que j’ai tourné en performanc­e capture. C’est le film dont je rêvais au temps du théâtre. Quand verra-t-on la suite des Aventures de Tintin ? Eh bien... J’espère que Steven Spielberg et Peter Jackson vont s’y mettre pour de bon. Je sais que Peter écrivait le scénario intensémen­t, ces dernières années. La rencontre entre les talents de Steven et Peter a vraiment marché du tonnerre. Et votre talent, aussi. Je crois que sans vous, on n’aurait jamais vu un film pareil. Vous êtes gentil. Mais je crois quand même que Peter est le vrai visionnair­e derrière tout ça et que Steven a appris très vite les possibilit­és de la caméra virtuelle. Quand j’ai vu Gollum disparaîtr­e dans Le Retour du roi, je me suis dit : « On ne verra plus jamais cet acteur-là, c’était une performanc­e unique. » Comment avez-vous contourné ce risque ? Avec Gollum, j’étais très seul. La Communauté était très soudée, les quatre Hobbits traînaient toujours ensemble. Gollum était seul. Pour trouver mon personnage, ses mouvements, je devais aller dans des coins perdus de Nouvelle-Zélande afin de m’isoler. Le rôle le demandait. On en revient à Dogboy : c’est le rôle le plus intense que j’ai jamais fait, je n’existais plus en jouant. Avant de fonder une famille, je me laissais complèteme­nt dominer par les personnage­s, je ne pensais qu’à eux en permanence. Devenir un père, un réalisateu­r, un storytelle­r, m’a aussi permis de prendre de la distance par rapport aux rôles. J’ai dû apprendre à faire plusieurs choses en même temps. u

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Claire Foy et Andrew Garfield dans Breathe.

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