Première

SATIRE DANS TOUS LES SENS

Monthy Python –Le Sensdelavi­e Raconté par JOHN GOLDSTONE, ERIC IDLE, TERRY JONES, TERRY GILLIAM.

- PAR GUILLAUME BONNET ET FRÉDÉRIC FOUBERT

Trente-quatre ans après la sortie de leur barnum nonsensiqu­e, une partie de l’équipe des Monty Python revient sur la genèse et le tournage fou du Sens de la vie.

_ JOHN GOLDSTONE : Après le succès de La Vie de Brian, les gens nous mettaient une pression de dingue pour qu’on délivre un autre film très rapidement. Les Monty Python ont commencé à écrire sans savoir quelle route ils allaient emprunter exactement. Puis, à l’hiver 81-82, ils sont partis en Jamaïque pour faire le point. Ils ont d’abord eu comme un coup de blues, une sorte de dépression collective.

_ ERIC IDLE : Du temps avait passé, on avait fait le spectacle au Hollywood Bowl (et le film qui en est tiré, “Monty Python Live at the Hollywood Bowl”) et, je crois, notre disque, le Contractua­l Obligation Album... On avait beaucoup d’idées, beaucoup de matériel écrit. La difficulté était de dégager un sujet de film de tout ça. On a commencé à écrire sans idée globale et on s’est retrouvés à devoir déterminer le sujet du film à la toute fin du processus. Tout à l’envers.

_TERRY JONES : On avait amassé beaucoup d’idées, écrites dans une forme « bunuelesqu­e » inspirée du

Charme discret de la bourgeoisi­e, où les différents récits fonctionne­nt de manière circulaire. On s’était organisés pour partir tous ensemble deux semaines en Jamaïque afin de mettre les choses en forme et trouver un thème général. Et dans l’avion, j’ai relu tout ce que

nous avions, avec une pseudo-continuité, le timing des sketchs et je me suis dit : « Ça ne va pas marcher. » Pour moi, il était évident qu’on fonçait droit dans le mur...

_TERRY GILLIAM : Sur le plan de l’écriture, rien n’avait vraiment changé depuis l’époque de la série télé. Les paires étaient prédéfinie­s : Michael Palin et Terry Jones, John Cleese et Graham Chapman, Eric Idle en solo et moi qui travaillai­s sur les transition­s et les séquences animées.

_ ERIC IDLE : Écrire seul, c’est ce que les gens normaux font, non ? Et puis l’avantage, c’est que j’ai toujours le même partenaire, après toutes ces années...

_TERRY GILLIAM : On se retrouvait tous après le déjeuner, on lisait ce qu’on avait fait et on débattait sur ce qui devait rester ou non. C’était une forme d’editing auquel on contribuai­t tous à égalité.

_TERRY JONES : C’est assez brutal comme système, parce qu’il faut que tout le monde soit d’accord sur la valeur des sketchs afin qu’ils soient conservés. Par exemple, « Mr Creosote » (le type obèse au restaurant), qu’on considérai­t comme notre meilleur sketch, a été

« TRENTE ANS APRÈS, LE FILM EST TOUJOURS AUSSI DÉGOÛTANT... » ERIC IDLE

rejeté. Un mois après, John Cleese est venu me voir en me disant : « Je l’ai relu, en fait c’est très bien, et j’ai eu une petite idée... » (Rire.) Il avait ajouté le bonbon à la menthe et l’explosion, ce qui poussait le truc encore plus loin. _ ERIC IDLE : J’essayais de collaborer au mieux. À part le sketch du serveur, qu’est-ce que j’ai écrit là-dedans ? Attendez voir... Mes contributi­ons concernaie­nt surtout les scènes musicales, à la suite du succès de Always Look on the Bright Side of Life dans La Vie de Brian. J’ai été surpris que The Galaxy Song, sans doute ma séquence favorite, soit intégrée dans le film. Et puis

Christmas in Heaven, j’ai une belle démo de ça, enregistré­e aux studios de Pink Floyd, Britannia Row. Au fond, Le Sens de la vie est une comédie musicale. Il y a huit chansons ! Ça a toujours été mon fort, c’est même devenu mon métier depuis.

_TERRY JONES : On est arrivés un lundi ou un mardi en Jamaïque. Une scripte m’avait préparé une continuité dialoguée et minutée de tous nos sketchs. Je suis reparti de là, j’ai sélectionn­é tout ce qu’on avait de mieux. Le troisième jour, on s’est tous réunis, et je leur ai dit : « Voilà, mis bout à bout, ça nous donne soixantedi­x minutes de matériel, bon ou très bon. » Michael Palin a proposé d’en tirer un show télé. Et là, j’ai suggéré qu’on structure l’ensemble sur le modèle des « sept âges de l’homme » (“Comme il vous plaira”, de William

Shakespear­e). Cette idée-là nous a mis en route. Il fallait encore remplir trente minutes et le tour serait joué.

_ ERIC IDLE : Après deux semaines de galère à chercher à mettre un semblant d’ordre dans tout cela, j’ai trouvé l’expression « le sens de la vie ». Et on s’est tous mis d’accord là-dessus.

_ JOHN GOLDSTONE : La trouvaille d’Eric permettait d’harmoniser ce qu’ils avaient écrit jusque-là, tout en donnant du carburant et de nouvelles idées pour la suite. _ ERIC IDLE : Idéalement, il aurait fallu prendre un peu de recul, essayer de coller à l’idée des « sept âges de l’homme » : l’enfance, l’âge adulte, la guerre, etc., en nous concentran­t sur un personnage fil rouge. Mais John ne voulait pas perdre plus de temps, et je peux le comprendre. Au final, le film est là, toujours aussi dégoûtant trente ans après. Répugnant. Et ça, c’est très très dur à réussir.

_TERRY GILLIAM : Pour La Vie de Brian, les sketchs avaient été bien déguisés, bien intégrés à la narration. Pas pour Le Sens de la vie. Alors forcément, le résultat est plus inégal, mais ce qui est réussi compte parmi ce que nous avons fait de mieux.

_TERRY JONES : En tant que réalisateu­r, ça ne fait pas une grande différence. Qu’il y ait une intrigue générale ou une suite de sketchs, je pars du script, je compose des story-boards, et le tournage s’organise au jour le jour sur cette base.

_TERRY GILLIAM : Le réalisateu­r n’a jamais été le leader du groupe ! C’est pour ça qu’après Sacré Graal, j’ai laissé ce rôle à Terry Jones ! Etre metteur en scène sur un film des Python, cela consiste à être le chien de berger qui essaie de faire avancer le troupeau... Sauf que ces individus sont tout, exceptés des moutons. Mon attitude, quand tout le monde se mettait à discutaill­er, c’était plutôt de me tailler.

_ ERIC IDLE : Les engueulade­s ? Tout ça est très exagéré, suivant la personne qui raconte. Gilliam est très parano, par exemple... La discussion, ce n’est pas de la dispute. C’est une démarche créative, et c’est de là que sortent les meilleures choses. Le sketch « Mr Creosote ».

_TERRY GILLIAM : Mon moment favori ? La très longue séquence avec les protestant­s et les catholique­s, le numéro

Every Sperm is Sacred et le couple de protestant­s qui discute de sexe. C’est en réalité trois sketchs qui s’enchaînent, presque une mini-comédie musicale, un des meilleurs moments de tous nos films.

_ JOHN GOLDSTONE : À l’origine, The Crimson Permanent Assurance était juste censé être un sketch d’animation. Et à l’arrivée, c’est devenu ce mini-film dont le premier montage faisait trente minutes !

_TERRY GILLIAM : J’avais juste cette idée d’animation, un immeuble avec les échafaudag­es qui servent de voile et qui part tel un galion en mer. Mais je me suis dit que ce serait mieux en live et les autres, les fous, m’ont laissé faire...

_TERRY JONES : Le sketch de Gilliam a coûté un million de livres sterling ! On tournait en parallèle sur deux plateaux voisins. Terry passait de temps en temps nous voir pour faire une apparition dans le « long métrage »...

_ JOHN GOLDSTONE : Ah ah ah ! Si le budget du sketch de Terry a enflé au détriment du reste du film, j’imagine que j’en suis le responsabl­e ?

_TERRY GILLIAM : Le truc, c’est que personne ne m’a jamais attribué de budget. Donc techniquem­ent, désolé, le budget n’a pas « gonflé », il n’a pas été « dépassé », il s’est juste adapté à la réalité de ce que devait être le film.

_ERIC IDLE : Il était prévu que le sketch de Terry dure deux ou trois minutes. On savait où il devait être placé,

à la soixante-huitième minute, j’avais même écrit une chanson. Mais tu ne peux pas arrêter Gilliam quand il est lancé. Même les Weinstein n’y sont pas arrivés...

_TERRY GILLIAM : Le souci s’est posé en postproduc­tion. On savait à quel endroit mettre le sketch, mais ça ne marchait pas. On m’a poussé à le couper, mais ça ne marchait pas non plus. Alors j’ai suggéré de le mettre en avant-programme, avec un mini-retour gag à l’intérieur du vrai film, cette idée marrante du court métrage qui attaque le long !

_ERIC IDLE : Je crois vraiment qu’on a gagné le Grand Prix du jury à Cannes (en 1983) grâce à cette idée. En choisissan­t de mettre ce formidable morceau de cinéma en début de programme...

_TERRY GILLIAM : Le truc très fort dans Le Sens de la vie, ce qui le sépare de nos autres films, ce sont les performanc­es d’acteurs. Les meilleures de la carrière des Python. Et ça, c’est aussi dû au fait que Terry Jones l’a réalisé seul. Je suis sans doute un peu plus visuel que lui, un peu plus obsédé par l’angle de la caméra que par l’idée de créer une atmosphère où les comédiens s’épanouisse­nt. En tout cas, c’était ainsi à l’époque. Vous trouvez que mon sketch est bien joué ? C’est parce que je suis très très bon, hé hé. Je sais tout faire en réalité...

_ERIC IDLE : Les performanc­es ? Après toutes ces années, oui, on était devenus assez bons. On faisait quand même ça depuis 1969, et on avait tous joué un nombre incalculab­le de rôles. C’était devenu très confortabl­e d’avoir des perruques, des déguisemen­ts, tous ces gimmicks qui facilitent beaucoup le jeu.

_TERRY GILLIAM : C’est le film où j’apparais le plus en tant qu’acteur. Peut-être qu’ils se sont rendu compte que je n’étais pas si mauvais ! En général, je faisais les personnage­s les plus grotesques.

_TERRY JONES : J’ai toujours trouvé que Gilliam était sous-utilisé. Pour Le Sens de la vie, j’ai beaucoup insisté pour qu’il joue Mr Creosote, je trouvais que ça collait à merveille. Mais il a tenu à ce que je le fasse moi-même.

_ERIC IDLE : Pour être sûr de ne vexer personne, on ne distribuai­t les rôles qu’à la toute fin du processus d’écriture, ce qui permettait de ne léser personne quand un rôle était coupé. Terry Jones m’a fait jouer l’épouse protestant­e. Il a été très généreux sur ce coup-là.

_TERRY JONES : Les rôles de femme, ça m’allait bien en général, oui. J’aimais les interpréte­r, avec ma voix de fausset, mais Eric était parfait aussi. Dans la scène de la mousse de saumon, Eric, Michael et moi faisons un trio d’épouses super sexy.

_ ERIC IDLE : Sans qu’on s’en rende bien compte, des éléments philosophi­ques étaient apparus dans ce qu’on écrivait qui n’étaient pas aussi présents au début de notre carrière. La mort et la mousse de saumon, c’était tordant, mais c’était aussi profond à sa façon, vous ne trouvez pas ? (Rire.) Même chose avec la scène de l’ablation du foie ! On l’enchaîne avec la « blague cosmique » qui consiste à dire combien tout cela est dérisoire comparé à l’immensité de l’univers. Et voilà comment on se retrouve avec un prix à Cannes...

_ JOHN GOLDSTONE : Je trouve que c’est présent dans tout ce qu’ils ont fait. Ils ont toujours été anarchiste­s. Ils ont toujours remis en question l’autorité, les convention­s, et fait en sorte que le public se pose des questions à son tour. La scène du restaurant avec Mr Creosote était une manière de se demander jusqu’où on peut aller. À Cannes, pas mal de gens ont été choqués. Bon, elle est quand même très marrante cette scène.

« ON EST UN PEU COMME LES BEATLES. » TERRY GILLIAM

_ERIC IDLE : Bon sang, Orson Welles remettait des prix pendant la Cérémonie de clôture ! Vous imaginez Welles devant Mr Creosote ? On nous a dit qu’il voulait que le film reçoive la Palme d’or ! À la conférence de presse, Terry Jones avait prévenu : « Sachez qu’on va gagner, on a payé le jury... »

_TERRY JONES : Il faut dire que notre distribute­ur faisait bel et bien partie du jury...

_ERIC IDLE : C’est devenu doublement drôle quand dix jours plus tard, il est monté sur scène pour recevoir le Grand Prix, et qu’il a chuchoté : « OK, les gars, l’argent est scotché dans la chasse d’eau des toilettes masculines. »

_TERRY GILLIAM : On est un peu comme les Beatles, on le savait même en se lançant dans nos carrières en solo. Sur nos tombes, il y aura marqué « ex-Python ». Et franchemen­t, ça me va bien. C’est le grand accompliss­ement qui a défini ma vie. Et même si nos intérêts divergeaie­nt vers la fin et que Graham (Chapman) n’est plus là, quand on se retrouve tous ensemble, comme ça a été le cas en 2014 (la troupe s’était reformée à Londres pour le show “Monty Python Live (Mostly)”) c’est comme si on n’avait jamais été séparés, c’est le même groupe, les mêmes relations, avec moi dans le rôle de l’outsider, le gars qui bricole dans son coin.

_ERIC IDLE : Quand on se voit tous ensemble, c’est toujours les Monty Python. Malgré les fortes personnali­tés, le format du groupe n’a jamais posé aucun problème du point de vue créatif, bien au contraire. C’est plus de s’accorder sur des dates, ou sur le genre de projets qu’on veut mettre en branle. Qu’est-ce que ça pourrait être, de toute façon, un nouveau film des Monty Python ? Après le Graal, Jésus et le sens de la vie ? J’ai pensé à Death

– The Musical. C’est un bon titre. J’ai travaillé dessus pendant trois ans, et puis j’ai laissé tomber. Mais ça sonne très Python, je trouve. u

 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ?? Avec (par ordre d’apparition) John Goldstone (producteur) Eric Idle (acteur et scénariste) Terry Jones (coréalisat­eur, acteur et scénariste) Terry Gilliam (coréalisat­eur, acteur et scénariste) Eric Idle, Graham Chapman, Michael Palin, John Cleese,...
Avec (par ordre d’apparition) John Goldstone (producteur) Eric Idle (acteur et scénariste) Terry Jones (coréalisat­eur, acteur et scénariste) Terry Gilliam (coréalisat­eur, acteur et scénariste) Eric Idle, Graham Chapman, Michael Palin, John Cleese,...
 ??  ??
 ??  ?? Ci-dessus le sketch « Le cours d’éducation sexuelle », ci-contre
« Le restaurant de conversati­ons » .
Ci-dessus le sketch « Le cours d’éducation sexuelle », ci-contre « Le restaurant de conversati­ons » .
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France