BABY DRIVER
Un chauffeur hors-la-loi ne peut échapper aux flics qu’en écoutant la bonne chanson au bon moment. Triomphe total pour Edgar Wright, qui invente ici la première « comédie musicale d’action ». Le La La Land du film de bagnoles.
Qui a dit qu’en été les salles de cinéma étaient réservées aux blockbusters en surcharge pondérale ? Le petit film de braquage musical d’Edgar Wright est le summer movie dont on n’osait plus rêver.
ET AUSSI 98 Song to Song 99 Le Caire confidentiel, Nés en Chine 100 120 Battements par minute 101 La Région sauvage, Tom of Finland 102 Une femme douce 103 Une vie violente, Office 104 Le Petit Paysan 105 Gabriel et la montagne, Upstream Color 106 Les Proies 107 Wind River, Été 93 109 Hirune Hime – Rêves éveillés, Ciel rouge 110 Hostages, On the Milky Road 111 Okja 112 L'agenda des films de juillet/août
« PL'HORIZON DE BABY DRIVER EST L'ORGASME CINÉTIQUE, LE SWING, LA FLUIDITÉ ET LA JOIE PURE.
robablement le film le plus cool jamais tourné. » La citation qui trône sur fond jaune fluo en haut de l’affiche française de Baby Driver n’y va pas de main morte. Ah, tiens, elle est signée Première... Il faut croire que ce film nous excitait particulièrement. Ou qu’il tient extraordinairement bien ses promesses. Mais c’est un fait : depuis que Quentin Tarantino s’est enfermé dans une chambre d’hôtel d’Amsterdam pour écrire Pulp Fiction entre deux visites au coffee shop du coin, aucun film n’avait été aussi méticuleusement et obsessionnellement guidé par l’idée du cool que cette petite histoire de getaway
driver obsédé par son iPod. Les flingues, la musique, la vitesse, les pneus qui crissent, les balles qui tracent et les punchlines qui claquent : vous lirez ailleurs dans ce magazine la genèse de ce rutilant bolide, médité pendant plus de deux décennies et malaxant un savoir encyclopédique sur ce que le 7e art peut proposer de plus aérien, fun, léger, volatil, divertissant, pop, glorieusement inconséquent. En un mot : cool. Quant à la concordance parfaite entre les ambitions démesurées d’Edgar Wright (tourner un film d’action entièrement pensé en fonction de sa bande originale) et le résultat à l’écran (c’est aussi bien que ça en a l’air), elle place immédiatement Baby
Driver dans une catégorie à part. Au nirvana d’une certaine idée du cinéma.
ADRÉNALINE. Mais est-ce que cela suffit à en faire le prétendant ultime à la médaille d’or de la coolitude ? Ce film est-il réellement plus cool que Bullitt, Point Limite
Zéro, The Blues Brothers, The Driver ou French Connection, pour citer quelques titres que Wright a programmés le mois dernier dans une rétrospective du British Film Institute intitulée « Car Car Land » ? Plus cool que Heat, Point Break et Reservoir Dogs, alias « la Sainte-Trinité du film de casse 90s », brandie comme totem cinéphile par le réalisateur de Shaun of the
Dead dans une interview sur deux ? Peutêtre. Peut- être pas. La question n’est pas vraiment là, en fait. C’est juste que c’est son ambition. Et que, pendant l’heure et les cinquante-trois minutes que dure le film, le pied que vous prendrez sera tel que vous oublierez tout sens de la mesure, comme il se doit quand on se fait un shoot d’adrénaline en plongeant la tête dans des enceintes crachotant un vieux punk des Damned. Dès la première scène, Baby (Ansel Elgort, exceptionnel James Dean de poche) secoue la tête dans sa voiture en écoutant sa chanson fétiche de Jon Spencer Blues Explosion pendant que ses camarades braquent une banque, avant d’appuyer sur le champignon pour aller jouer au chat et à la souris avec les flics sur l'autoroute d’Atlanta. La musique, les dialogues, le sound design : tout coagule dans un magma audiovisuel démentiel. On suit la scène en battant la mesure, un sourire jusqu’aux oreilles. Et ça durera comme ça jusqu’au bout. Contrairement à beaucoup des films cités ci-dessus, Baby Driver ne s’intéresse qu’au plaisir. On n’est pas chez Friedkin, Sarafian ou Michael Mann. Il n’y a pas de métaphysique ici, pas de commentaire sur l’époque, pas de conscience historique, rien à dire sur l’Amérique, le monde contemporain, voire les limites de vitesse drastiques en centre-ville ou même l’opposition vinyle/mp3 (Baby écoute indifféremment les deux). Cela ne veut pas dire que c’est un film idiot, ni même qu’il se refuse des thèmes graves ou un véritable ancrage émotionnel (il est question d’innocence perdue et de recherche effrénée d’harmonie), mais que son horizon est l’orgasme cinétique, le swing, la fluidité et la joie pure.
GUNFIGHTS ET CLAQUETTES. Si Baby Driver incite à l’overdose référentielle, il ne semble pourtant pas avoir de véritable équivalent dans le cinéma contemporain, à l’exception de La La Land, qu’il évoque autant pour sa science compilatoire que pour sa maestria technique et l’absolue jubilation qu’il entend provoquer chez son spectateur.
Baby Driver est, à sa façon, un musical, avec des gunfights et des courses-poursuites en lieu et place des numéros de claquettes. Et Wright, né en 1973, fait le lien entre Tarantino (date de naissance : 1963) et Damien Chazelle (cuvée 1985). Sans s’être concertés, Chazelle et lui préfigurent, avec leurs films sortis à quelques mois d’intervalle, un dépassement du postmodernisme initié par Tarantino & Co dans les années 90 (un post-postmodernisme ?) ; comme leur aîné, ils ont tout vu, tout disséqué, tout digéré, mais refusent l’ironie ou le nihilisme que cet excès de savoir peut entraîner, et tentent de retrouver, à partir de leurs banques de données pleines à craquer, une excitation nouvelle, juvénile, virginale. C’est sans doute pour cela que le héros s’appelle Bébé. Pour cela aussi que les seconds rôles Jamie Foxx, Jon Hamm et Kevin Spacey sont tout autant filmés comme porteurs de leur background iconique respectif que comme de pures silhouettes génériques (les personnages de ce film ont pour nom Baby, Buddy, Darling...). Ultraréférencé et primitif à la fois, érudit et hédoniste, « post-post » mais jamais poseur, ce film trace une route pour demain. Suivons-la.