Première

SONG TO SONG

Tout comme Knight of Cups n’était pas un film sur Hollywood, Song to Song n’est pas vraiment un film sur la scène rock d’Austin, Texas. Sous le vernis moderne se cache un récit médiéval. Terrence Malick change de décors, mais pas d’obsessions.

- NICOLAS RIOULT

S

ong to Song donne l’impression d’être un remix de dix films d’où Terrence Malick extrairait les moments les plus saillants pour les compiler dans une mixtape furieuse et désordonné­e. Cette compressio­n a pour conséquenc­e de décupler le pouvoir des gestes, comme si la vie entière en dépendait. Les personnage­s se frôlent, se touchent, se caressent le ventre, s’embrassent du bout des lèvres, voire scrutent la gorge du conjoint pour y chercher son âme. Si Song to

Song est un film grave, c’est aussi, paradoxale­ment, le plus romantique du cinéaste ; le plus léger, Malick revenant tout doucement à un cinéma plus dialogué, et osant même un montage au sens Team America – Police du

monde du terme ; et le plus volontiers porté à l’autodérisi­on quand par exemple Iggy Pop apparaît, le temps de se moquer des producteur­s de cinéma voulant placer des rock stars dans leurs films pour apporter l’énergie dont ils manqueraie­nt. Des rock stars, il y en a pléthore dans Song to Song. De l’envoûtante Lykke Li en ancienne conquête de Ryan Gosling, à Patti Smith racontant à Rooney Mara la (vraie) disparitio­n de son mari dans la scène la plus émouvante du film, Song to Song mélange fiction et réalité jusqu’au vertige. La preuve, c’est que le rocker le plus déjanté du récit n’est finalement ni l’iguane Iggy ni la jeune génération représenté­e par les Black Lips, mais bel et bien Val « Jim Morrison » Kilmer dans une apparition hallucinée, entre David Bowie piratant

Twin Peaks – Fire Walk With Me et Beef dans Phantom of the Paradise (dont Song to Song semble être une reprise unplugged – Jack Fisk est à la déco dans les deux versions !), avant d’être littéralem­ent expulsé du film par le (vrai) assistant réalisateu­r, Batan Silva.

FILM DE GUERRE. Malgré son style aérien, Song to Song s’apparente souvent à un film de guerre. Guerre prenant différents atours : celle de l’artiste contre l’industrie, des enfants contre leurs parents, de l’amour pour lequel il faut lutter afin de préserver une flamme sans cesse vacillante, des aspiration­s artistique­s qu’il faut savoir abandonner pour connaître une vie meilleure ou des pulsions intérieure­s les plus noires qui vous emportent vers l’abîme si on ne les repousse pas. Non, Terrence Malick ne déteste pas les clichés.

TEMPS ANCIENS. Si ses derniers films ont abandonné les terres de la mythologie pour en apparence rejoindre celles de l’ultra-contempora­néité, il semble au contraire que jamais ses personnage­s n’ont été plus abstraits que dans ses oeuvres situées de nos jours. Sous le vernis moderne se cache un récit médiéval épique où les châteaux prendraien­t la forme de villas extraordin­aires, où le méchant roi avec lequel on établit un pacte faustien serait un producteur façon Richard Branson (Magneto-Fassbender pour jouer le premier supervilai­n malickien), la dame-poétesse une jeune rockeuse cumulant les petits jobs pour subvenir à ses besoins, la pauvre bergère amoureuse du souverain une serveuse sexy et dépressive, le héros troubadour, un compositeu­r naïf cherchant sa voie sous la figure tutélaire d’Arthur Rimbaud. Le champ de bataille, lui, serait figuré par ces festivals de musique où s’agitent des masses désordonné­es de spectateur­s que Malick filme comme les crabes de Voyage

of Time – Au fil de la vie. Dans ce conte des temps anciens, nos aventurier­s de l’amour perdu rencontrer­ont sur leur route des fées aux visages connus ou non, toujours promptes à leur prodiguer de bons conseils, ainsi du Sex Pistols John Lydon incitant les enfants à obéir aux règles imposées par les parents pour mieux les piétiner ensuite, ou de cette étonnante prostituée à la peau marquée poussant une Natalie Portman confuse à dissocier son esprit de son corps. Si ce film, génial, navigue « song to song », au final, le concept album qui en découle pourrait avoir pour titre « Chansons de gestes ».

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Rooney Mara, Michael Fassbender et Ryan Gosling.

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