THE LEFTOVERS – SAISON 3
« It was the best of times ; It was the worst of times... » Et ainsi, après huit épisodes aussi poussifs que brillants, The Leftovers disparaît. Laissant derrière elle la plus grande des questions : comment s’en souvenir ?
LA SÉRIE FONCTIONNE SUR L’ABSENCE DE RÉPONSES ET DE SOLUTIONS MIRACLES.
Q uatre ans après son apparition sur HBO, The
Leftovers délivre le mot de la fin. Un moment que les anciens fans de
Lost redoutaient probablement autant que Damon Lindelof, auteur et showrunner sur les deux séries... Intrépide, mélo, plombante, biblique, dévastatrice, souvent à crever de rire, The
Leftovers racontait le calvaire existentiel de personnages rongés par la colère et le sentiment d’abandon ; pas facile de continuer à vivre et à aimer dans un monde où deux pour cent de la population terrestre disparaissent sans laisser de traces... Début juin, la saison 3 s’achevait sur un ultime épisode de 75 minutes étonnement sobre, encensé par la critique et les (rares) spectateurs qui la suivaient religieusement. Attendu au tournant, Lindelof n’a pas déçu, du moins pour une grande majorité. Il a (plus ou moins) bouclé son histoire, apporté des réponses (quoique...), et lavé l’affront du final tant décrié de Lost.
FLASH-FORWARD. Exactement dix ans plus tôt, en 2007, la saison 3 de Lost quittait elle aussi l’antenne sur un triomphe, mais sans pour autant signer l’arrêt de la série – plutôt sa renaissance. Dans les derniers instants du double épisode final, Là
où tout commence... et tout finit, le spectateur découvrait, abasourdi, que les traditionnelles séquences en flashback montrant Jack Shepard (Matthew Fox) vivre sa vie de chirurgien barbu à Los Angeles, étaient en fait des flash-forwards. « We have to go
back ! », finissait-il par lâcher à Kate (Evangeline Lily) sur le tarmac de l’aéroport, entérinant l’idée qu’ils étaient revenus au bercail, que la série avait un double fond et qu’il y avait bien une vie après l’île. Par cette trappe scénaristique inouïe, Lindelof cassait les murs de son propre show et lui inventait un avenir, une destination. Un geste de pure délivrance pour lui et son équipe de scénaristes (désormais à même de programmer une fin), mais aussi pour le spectateur, devenu à la longue otage de la narration en flashback. Tout devenait possible. La voie était libre. On pouvait repartir à la rencontre de ces territoires inconnus promis par le titre... « We have to go back » reste l’un des grands tours de passe-passe de la télévision moderne. C’est le moment qui fit de Lost une série majeure, et de Lindelof un scénariste courtisé. Il en parle aujourd’hui comme d’un coup du sort, un éclair de lucidité né des contraintes du médium : « La télévision a un rythme binaire. Il suffit souvent de mettre les choses cul-par-dessus-tête pour leur donner une nouvelle saveur. » Ça a tellement bien marché la première fois, qu’il s’en est souvenu pour The Leftovers.
MIRACLE. Adaptation quasi littérale du roman oecuménique de Tom Perotta, la première saison de The Leftovers observait les retombées du Grand Départ (clairement assimilé au Ravissement qui, dans l’eschatologie chrétienne, prévoit la montée au ciel d’une poignée de croyants et leur rassemblement devant Jésus) du point de vue des pauvres âmes restées clouées au sol, condamnées à pleurer leurs disparus et à questionner leur rapport à la mortalité, à Dieu, à l’amour, etc. À l’image des Guilty Remnant, une secte de citoyens démissionnaires vêtus de blanc, refusant l’usage de la parole et fumant clope sur clope pour se rapprocher au plus tôt de l’embolie pulmonaire. Kevin Garvey (Justin Theroux), chef de la police de Mapleton, une bourgade inexplicablement touchée en masse par le Grand Départ, tente comme il peut d’apaiser les tensions et d’élucider sa propre incapacité à réagir aux événements (autrement qu’en faisant du jogging torse nu), lorsqu’il fait la rencontre de Nora Durst (Carrie Coon, naissance d’une actrice), une femme esseulée qui a vu disparaître, le jour J, son mari et ses deux enfants... Jouant sur la fascination de Lindelof pour les rites communautaires et le langage des sectes, The Leftovers saison 1 était une passionnante étude sur les
systèmes de croyance et un véritable test de résistance pour le spectateur : austère, apathique, étouffante, parfois proche de la bondieuserie, trop pleine de Guilty Remnant et de pauses cigarettes, elle ne décollait vraiment que dans les épisodes « centriques » dédiés à un personnage unique, notamment Guest (un classique), dans lequel Nora pète les plombs lors d’un séminaire à New York, et Two Boats and
a Helicopter, consacré à Matt (Christopher Eccleston), le frère pasteur de Nora, lancé dans une odyssée barbare pour sauver son église. Au terme de son run initial de dix épisodes, une grande partie des spectateurs de The Leftovers avait déjà lâché l’affaire.
ÉQUILIBRE FRAGILE. Et puis... Magie de la télévision. Avec la saison 2, Lindelof réitère le coup de balai théorique et réversible de Lost en envoyant Kevin, Nora, Matt et les autres dans un patelin du Texas surnommé Miracle, l’une des rares villes d’Amé- rique où le Grand Départ n’a pas frappé. Ici, on ne compte aucun disparu. Ici, les maladies guérissent d’elles-mêmes et les morts reviennent à la vie. D’une fiction d’apocalypse fondée sur l’hébétude et le renoncement, le spectateur bascule dans un monde apaisé où l’on « croit », finalement ouvert sur le surnaturel et l'optimisme (certes de façade). Là encore, Lindelof et son équipe se voient pousser des ailes, explosant l’espace et le temps, générant des histoires à l’intérieur des histoires et n’hésitant plus à déjouer l’excès de pathos par un humour pop des plus déplacés. Désormais, tous les épisodes sont « centriques », tous avancent en équilibre fragile entre génie philosophique et foutage de gueule, et tous agissent comme de grandes fables telluriques sur l’infini questionnement (l’ambiguïté, autre sujet fétiche de la série), avant de tirer leur révérence sur les trois mêmes accords mélodiques au piano. En clair, et parce qu’on ne se refait pas, The Leftovers devient... Lost. Mais un Lost ouvertement intello, filmé par un élève doué de Shyamalan (en fait Mimi Leder), dont chaque épisode aurait l’envergure et la puissance émotionnelle de
Là où tout commence... et tout finit. Grand assesseur de son propre travail, Lindelof sera le premier à reconnaître que « si les gens aiment autant la saison 2, c’est parce qu’ils se sont un peu coltiné la première ». Sous-entendu : on n'a rien sans rien. Le genre de leçon de vie dont The Leftovers fait des épisodes.
AD VITAM ? Tant que Kevin et Nora souffriront atrocement, tant qu’elle se fera tatouer des logos du Wu-Tang Clan et tant qu’il jouera à s’asphyxier en se mettant la tête sous un sac, la poésie continuera de jaillir là où on l’attend le moins. The Leftovers pourrait continuer ad vitam à raconter ses histoires de survivants en quête de sens et de signes. Comment finir un truc pareil ? Et surtout pourquoi ? La série fonctionne précisément sur l’absence de réponses et de solutions miracles, sur l’idée qu’elle n’essayera même pas de statuer sur le pourquoi ou le comment de la disparition des Departed. Problème : au sortir de la saison 2, l’audimat du show était lui aussi toujours « departed », et la fin s’imposa d’ellemême. Huit épisodes durement arrachés à
HBO pour conclure ce qui ne peut pas l’être et donner, bon an mal an, un sentiment de direction (et de cohésion) à cette collection de contes maboules. Poussés par une nouvelle apocalypse (un déluge se profile pour le septième anniversaire du Grand Départ), les personnages se dispersent en Australie à la recherche les uns des autres. Il est beaucoup question de livres à écrire, de chansons à apprendre et d’histoires à transmettre avant de se dire au revoir. C’est pas fameux. Et les épisodes phares sont des redites (en moins bien) de Guest et Two Boats and a
Helicopter... Pas de regrets à avoir ; ça n’aurait jamais pu marcher de toute façon. En même temps, on pourrait en dire autant des orgies dans la boue, des pectoraux de Justin Theroux ou du karaoké cosmique... Rien dans cette série ne devrait marcher. C’est aussi ce qui la rend si belle.