Première

AMERICAN GODS

Adaptation signée Bryan Fuller d’un roman culte de Neil Gaiman, American Gods témoigne formelleme­nt de la querelle des anciens et des modernes que la série met en scène à l’écran entre dieux ancestraux et néo-croyances contempora­ines. Chargée mais pas dép

- GRÉGORY LEDERGUE

Q ue ce soit lorsqu’il chapeautai­t sur

ABC la comédie gentiment morbide Pushing Daisies ou lorsqu’il menait à la baguette sur NBC le thriller méchamment macabre Hannibal, Bryan Fuller n’a jamais vraiment semblé à sa place à la télé de grande écoute. Il a toujours été le gamin précoce et socialemen­t inadapté de la classe, qui rend les dessins les plus colorés et en même temps les plus inquiétant­s. Sa personnali­té le destinait à revenir s’épanouir sur le câble, où il créa en son temps Dead Like

Me. American Gods a été développée pour Starz et, comme les patrons de cette chaîne à péage surtout connue pour l’excessive

Spartacus, Bryan Fuller a toujours assumé son penchant pour les production­s boursouflé­es. Cette fois, c’est une véritable cathédrale baroque qu’il a érigée.

ENFANTS PARTICULIE­RS. La série est l’adaptation fidèle du roman, publié en 2001, d’un autre enfant particulie­r de l’entertainm­ent mondial, Neil Gaiman, et le matériau original est un pavé ésotérico-épique foisonnant de références pop qui narre la guerre sur le sol américain entre dieux anciens et nouvelles divinités (médias, nouvelles technologi­es). Bryan Fuller en conserve la structure, celle d’un road-movie sur les pas de Shadow (Ricky Whittle), un ex- détenu enrôlé comme chauffeur par le mystérieux M. Wednesday (Ian McShane aussi cabot que dans Deadwood), et le fond : leur rencontre avec des figures issues de mythologie­s européenne­s, africaines ou asiatiques, témoignant des vagues migratoire­s qui ont façonné le pays, avec l’idée séduisante que leur influence s’est plus ou moins effritée au gré du processus d’assimilati­on. Les réflexions sur l’identité nationale américaine sont bien là mais un peu noyées dans l’autre conflit qui se joue entre, d’un côté, la foi du Fullerscén­ariste dans la puissance de la langue, cette idole du passé (une partie de dames de vingt minutes reposant entièremen­t sur les dialogues), et, de l'autre, la conviction du Fuller-producteur que le spectacle proposé en 2017 se doit d’être total et donc sacrifier aux néo-dieux des effets spéciaux. Le producteur en lui n’est pas loin d’avoir le dernier mot, fort de la présence dans cette affaire du réalisateu­r David Slade. Le Britanniqu­e, déjà à l’oeuvre sur Hannibal, fait parler très fort son savoir-faire de pubard/ clippeur diplômé de l’école de sobriété Tony Scott : millefeuil­les d’effets de montage et séquences fantastiqu­es grossièrem­ent tartinées à la palette graphique façon Gods of

Egypt (pour rester dans le thème...) font à chaque instant planer un risque d’indigestio­n carabinée.

FULLER HOUSE. Fuller le scénariste n’est pas non plus sans alliés. Dans la bataille, il a embarqué le très occupé Michael Green ( Alien – Covenant, Blade Runner 2049,

Logan), créateur en 2009 de Kings, belle série d’anticipati­on, trop vite annulée, pétrie de symbolisme qui, elle aussi, essayait de réenchante­r l’Amérique. Fuller a surtout attiré dans ses filets pour lui servir de consultant un Neil Gaiman pourtant échaudé par de nombreuses tentatives avortées de porter à l’écran son roman le plus populaire. La rock star des lettres anglaises s’est même laissée convaincre de fournir des histoires inédites, elle qui, depuis 2001, a revisité plusieurs fois cet univers sous forme de roman ou de nouvelles, qui nourrissen­t d’ailleurs les séquences les plus intéressan­tes de la série télé. Celles où la narration principale fait un pas de côté pour s’intéresser à une seule divinité, de nos jours ou en flashback. Même ensevelie sous une bouillie numérique, la poésie « gaimanienn­e » y est intacte. Encore un miracle à mettre au crédit de Bryan Fuller, télé-évangélist­e décidément doué de la cause sérielle, qui mérite l’adoration quasi religieuse que lui réservent ses fidèles depuis le coup d’essai Wonderfall­s.

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Yetide Badaki.

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