Première

TUEZ CHARLEY VARRICK !

Redécouver­te d’un des plus grands films de Don Siegel dans une superbe édition Blu-ray.

- GAËL GOLHEN

Réalisé deux ans après L’Inspecteur Harry, Tuez Charley Varrick ! (1973) produit la même déflagrati­on que les polars urbains de Don Siegel. Même feeling anar, même portrait d’un solitaire en quête d’éthique, même haine pour les grandes organisati­ons et les machines sociales... Tout est là. Pourtant, en deux ans, tout a changé. Vétéran du cinéma d’action hollywoodi­en des années 50, ce grand cinéaste oublié connaît son heure de gloire avec

L’Inspecteur Harry qui, sous ses allures de série B, cachait un brûlot extrémiste où toute forme d’autorité était au mieux bafouée, au pire anéantie. Deux ans plus tard, il reprend ces ficelles en adaptant un roman génial de John Reese qui mélangeait les genres – western, film de mafia et revenge movie. Pourtant, ceux qui avaient trouvé L’Inspecteur

Harry et Un shérif à New York pro-flic seront surpris de voir que le héros de Tuez Charley

Varrick ! est un petit malfrat déterminé qui tue sans remords, pille les banques et couche avec les filles qu’il croise. Accompagné de deux complices, Varrick, ancien aviateur acrobate, s’en prend à la banque d’une petite ville du Nouveau-Mexique. Ses complices sont tués lors du braquage et il découvre vite que l’argent dérobé appartient à la mafia. Petit artisan (« le dernier des indépendan­ts », proclame le blason de son entreprise d’épandage), Varrick va tout faire pour s’en sortir sain et sauf.

SWING ET TIMING. Plusieurs idées concourent à faire de cette petite série B un chef-d’oeuvre caché. D’abord son rythme, faussement nonchalant. Sous les apparences trompeuses d’un récit relâché, le film raconte comment Varrick tente d’échapper à la police et à un tueur à gages (formidable Joe Don Baker dans un prototype de Javier Bardem dans No Country for Old Men). Pour réussir, Varrick doit organiser sa disparitio­n... C’est la deuxième clé du film, l’incroyable flair de Siegel pour ses castings. En choisissan­t, après Clint Eastwood, Walter Matthau comme nouveau dibbouk, il prend un acteur surtout connu pour ses rôles dans les vaudeville­s de Billy Wilder. Matthau est un technicien au timing impeccable qui joue ici de toutes les nuances de gris. Personnage usé et parfaiteme­nt inhumain, il a un air de Pierrot lunaire, Droopy embarqué dans une histoire qui le dépasse mais qu’il va constammen­t retourner à son avantage. On sait que Don Siegel pensait à un autre comédien avant Matthau. Ce dernier fut d’ailleurs plus que réticent avant d’accepter le rôle. Il détestait tellement le script qu’il avait envoyé une cassette reprenant le scénario point par point. Réponse de Siegel : « Monsieur Matthau, ce serait un plaisir de vous diriger, mais pour ce qui est des scripts et de vos idées, laissez-moi vous dire que vous avez des goûts de chiotte. »

LE DÉBUT DE LA FIN. Quoi qu’il en soit, Matthau swingue comme le film et la musique de Lalo Schifrin qui l’accompagne et le façonne entièremen­t. Sous sa classe et son flegme, c’est la mélancolie d’un renoncemen­t existentie­l qui domine finalement ce grand polar. Il faut voir l’hommage final à

La Mort aux trousses, scène apocalypti­que qui laisse le héros aussi vide qu’un pantin, condamné à se perdre dans une errance sans fin. Dépossédé de son identité et désespérém­ent seul, sa mort symbolique est une mise en abyme de la carrière de Siegel qui n’allait plus beaucoup tourner après ça. Dépassé par le Nouvel Hollywood, après Le Dernier des

géants avec John Wayne, le dernier des indépendan­ts allait tirer sa révérence. u

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Joe Don Baker et Walter Matthau.

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