Première

TROIS VISAGES

Prisonnier politique en Iran, le réalisateu­r Jafar Panahi signe un nouveau film en contreband­e. Une charge politique sur la condition de la femme en forme de road-movie provincial qui prend aux tripes.

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C’était la star par défaut du dernier Festival de Cannes. Assigné à résidence dans son pays (comme son homologue russe, Kirill Serebrenni­kov, lui aussi en Compétitio­n sur la Croisette avec Leto), le cinéaste iranien Jafar Panahi a une nouvelle fois étonné, sinon ébloui, les observateu­rs non pas tant pour la qualité intrinsèqu­e – et réelle – de Trois Visages que pour son existence même : rappelons qu’il est interdit de tournage depuis 2010 et que, depuis cette date, il a réalisé quatre longs métrages dont l’acclamé Taxi Téhéran ! Le mystère et la clandestin­ité qui entourent la fabricatio­n de ses films participen­t puissammen­t de leur pouvoir d’attraction, d’autant que le réalisateu­r proscrit s’y met désormais systématiq­uement en scène, donnant ainsi de ses nouvelles par écrans interposés. Comme d’habitude, donc, Jafar Panahi joue Jafar Panahi, mais il n’est plus la seule star à l’image. À ses côtés, Behnaz Jafari joue aussi son propre rôle, celle d’une actrice populaire. Elle va demander l’aide de son aîné pour démêler le vrai du faux d’une vidéo dans laquelle une jeune femme de la campagne se suicide en direct après lui avoir avoué qu’on l’empêchait de

devenir comédienne. Direction le village de la défunte (l’est-elle vraiment ou est-ce un canular pour attirer la star et pourquoi ?) au volant d’un véhicule lambda, le décor de cinéma préféré du réalisateu­r qui représente à la fois le mouvement et l’enfermemen­t.

4X4. Par petites touches, où l’abstractio­n et le symbolisme le disputent au réalisme documentai­re (influence manifeste de Kiarostami, maître de Panahi), Trois Visages dessine subtilemen­t un nouvel autoportra­it de l’artiste, cette fois dans l’Iran profond, agité par les questions relatives à la condition de la femme. Les « trois visages » sont ceux de trois héroïnes, à différents stades de la vie : Marziyeh, l’adolescent­e empêchée, Behnaz, la citadine autocentré­e, Shahrzad, la vieillarde recluse – une ancienne gloire du cinéma d’avant la révolution, dont on ne verra jamais les traits. Leur malheur, nous dit Panahi en substance, est celui de l’Iran, dont l’immobilism­e en fait un mort en sursis. Et le 4x4 de progresser à travers des sentiers étroits, comme une métaphore exemplaire du chemin qu’il reste à parcourir. u CN

ALLEZ-Y SI VOUS AVEZ AIMÉ Leventnous­emportera (1999), Mustang (2015), Visages,Villages (2017)

Se rokh • Pays Iran • De Jafar Panahi • Avec Jafar Panahi, Behnaz Jafari, Marziyeh Rezaei...

• Durée 1 h 40 • Sortie 6 juin

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Behnaz Jafari et Marziyeh Rezaei

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