Première

À GENOUX LES GARS

Une jeune lycéenne est victime d’un chantage à la sex tape… Comédie rhomérienn­e trash sur la « culture du viol », À genoux les gars, présenté dans la section Un certain regard, a interloqué les spectateur­s au Festival de Cannes. On ouvre le débat avec son

- INTERVIEW GAËL GOLHEN

PREMIÈRE : Je suis sorti du film en me demandant ce que j’avais vu… ANTOINE DESROSIÈRE­S :

Ça me rappelle la réaction de Pierre Rissient [historien du cinéma, décédé le 6 mai dernier]. En quittant la salle, il m’avait dit qu’il ne connaissai­t rien à cet univers, qu’il découvrait un monde inconnu. On peut regarder À genoux les gars d’un point de vue sociologiq­ue, en découvrant un monde et une langue (belle, pleine de trouvaille­s poétiques et drôles) et on peut aussi le voir au premier degré parce qu’on s’y reconnaît. C'est une comédie pour les ados !

Je m’interrogea­is aussi d’un point de vue cinématogr­aphique. Visuelleme­nt, avec ces gros plans de visages sur fond blanc, les cadrages frontaux, j’ai l’impression qu’il s’agit d’une série de sketches YouTube. Ou d’une sitcom.

Je le revendique. YouTube réinvente le cinéma en assumant la frontalité. Aujourd’hui, les jeunes ne vont plus en salles : ils regardent des vidéos sur le Net. Je rêverais de rétablir ce lien entre les films et la jeunesse.

Et ça reste du cinéma ?

Oui, parce que le cinéma, pour moi, c’est avant tout du lien. Et je trouve mon film très beau sur grand écran. (Rires.) Quand Jean Eustache réalise Une sale histoire, il tourne de la même manière. Deux personnes assises sur un canapé, filmées de face et qui discutent. Guitry, Pagnol : ils aiment la langue. Ils cadrent leurs acteurs de face, et c’est parti ! Je puise dans YouTube, dans Guitry ou Pagnol et je ne vois pas le problème. Le cinéma est au service de la vie. Donc il doit en rendre compte. Pour obtenir ça, je dois être au plus près de mes acteurs. Je les filme de face. Au milieu du cadre.

Et sur le fond, vous n’avez jamais eu peur de traiter le sujet du viol à travers l’humour ?

Non, parce que c’est comme ça que je fonctionne. J’ai tendance à rire de tout et surtout des choses dramatique­s. J’adore porter les situations que j’observe à un degré tel d’absurdité qu’elles me font rire. Plutôt que d’en faire un pensum, je traduis l’atermoieme­nt de mes personnage­s par un débat sur « qu’est-ce qui est le plus grave : être un chat violeur ou un chat pédé ? ».

Sans risquer de tomber dans le trivial ?

Je ne crois pas. J’avais un père sociologue qui me disait qu’on faisait le même métier. Au fond, ce qui m’intéresse, c’est de voir ce que les tabous culturels provoquent comme effet sur la société. Et notamment les interdits sexuels. Dans Haramiste, je regardais comment ceux-ci provoquent de la frustratio­n. Dans À genoux les gars, je regarde comment la frustratio­n provoque de la violence. Pour poser le débat, j’ai choisi d’aller au coeur de la société. Au casting, j’ai vu 1 900 jeunes. Je cherchais plus que des acteurs : des coscénaris­tes, des gens avec un point de vue, de l’intelligen­ce sur ce qu’ils vivent.

Ça vous ennuie si on dit que c’est un film sur la banlieue ?

On en revient à Pagnol, qui disait que pour être universel il faut être singulier. Mon film a une langue particuliè­re, qu’on n’entend pas souvent au cinéma. J’assume l’univers dans lequel je l’ai ancré, mais c’est par cet univers que je prétends à l’universel. Et j’aimerais que tous les jeunes s’y reconnaiss­ent plutôt que d’en faire un nouveau cliché du film de banlieue. ALLEZ-Y SI VOUS AVEZ AIMÉ L’Esquive (2004), LesBeauxGo­sses (2009), EasyGirl (2010) De Antoine Desrosière­s • Avec Souad Arsane, Inas Chanti, Sidi Mejai… • Durée 1 h 38 • Sortie 20 juin

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Souad Arsane, Inas Chanti, Sidi Mejai et Mehdi Dahmane
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Antoine Desrosière­s, réalisateu­r

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