BLACK BOOKS
Le Seinfeld anglais n’était pas un comédien de stand-up mais le pire libraire du monde, à vous dégoûter du petit commerce : en trois courtes saisons, Black Books dispensait un humour féroce, punk dans sa sécheresse, surréaliste dans ses effets. À (re)découvrir en DVD.
S iSeinfeld avait un cousin, ce serait Black Books, vilain petit canard british, littéralement plus sale, affreux et méchant. Le riff rieur de la basse du générique de la série US fait place ici à des accords de guitare blues quasi parodiques, tandis que les personnages de Jerry, Kramer et George ont fusionné en un Bernard Black, super misanthrope loser et (mal) heureux proprio de la librairie d’occasion qui porte son nom. Créée par Graham Linehan, père de classiques de la sitcom britannique (Father Ted, The IT Crowd), et le comédien de stand-up Dylan Moran (Bernard Black), Black Books se voulait, en trois saisons de 2000 à 2004, un antidote à la sitcom sympa façon Friends. Bernard hait la modernité, ses clients ou le fait même de vendre des livres. Il partage avec sa meilleure amie Fran une passion pour la clope et la biture, et fermerait probablement boutique sans son assistant souffre-douleur Manny. De ce trio, Black Books tire des merveilles comiques où un grain de sable dans la mécanique du réel entraîne des désastres disproportionnés. Le ton comme la forme sont punk et surréalistes, jouant du dénuement de la sitcom (décors intérieurs, rires enregistrés, hors champ, censure).
UN AIR DE FAMILLE. L’épisode Le Vin sacré (saison 1) illustre la mécanique implacable de la série, où l’on s’enfonce fièrement dans la défaite, de préférence bourré : Bernard et Manny s’échinent, dans un passage incongru inspiré de Frankenstein, à remplacer un grand cru coûteux englouti par inadvertance par une piquette mélangée à de la vanille. Moran/ Black a plus qu’un air de famille avec le John Cusack de High Fidelity – beau gosse las, travail menacé par la dématérialisation des biens culturels – mais le fétichisme nostalgique qui essayait de redonner du sens au monde est effacé par un nihilisme rigolard intemporel. Back to Black pour 18 épisodes de cette série culte. Pour citer Bernard vendant (enfin) un bouquin à un quidam : « Régalez-vous ! C’est terrifiant. Mais court. »