Première

PHANTOM THREAD

- FRÉDÉRIC FOUBERT

Malgré ses atours austères, le dernier Paul Thomas Anderson a fini par devenir un mini-phénomène pop, qui culmine dans un bonus DVD où Daniel Day-Lewis et Lesley Manville se battent à coups de confiture et de jus de carotte au petit déjeuner. There will be LOL ?

Depuis l’apogée de There Will Be Blood en 2007, Paul Thomas Anderson semble vouloir s’enfermer dans une démarche de plus en plus exigeante, intransige­ante, auteurisan­te, construisa­nt des films puzzles qui laissent un nombre croissant de spectateur­s sur le carreau. À l’heure où les réalisateu­rs du monde entier constatent la désertific­ation des salles de cinéma et s’en vont à un à un pointer chez les géants du streaming, PTA, lui, n’a pas l’air de se faire de souci, comme préservé des désagrémen­ts du commun des mortels par le mécénat de sa productric­e Megan Ellison et la poignée de nomination­s aux Oscars que ses films finissent invariable­ment par décrocher. Après les déjà très abscons The Master et Inherent Vice, Phantom Thread semblait vouloir pousser le bouchon de la radicalité arty encore plus loin. Hommage aux romances gothiques des années 40, huis clos londonien au titre cryptique, réflexion sur la dépendance amoureuse filant d’obscures métaphores culinaires... Tout ça s’annonçait particuliè­rement casse-tête. Pourtant, malgré son aspect austère et cérébral, le film aura réussi à déclencher des torrents d’amour, s’imposant comme un petit phénomène pop et un inépuisabl­e réservoir de mèmes Internet. C’est Christophe­r Nolan himself qui a ouvert le bal, en déclarant qu’il était allé voir le film avec ses enfants (?!) et que ceux-ci l’appelaient désormais « Woodcock » [du nom du personnage de couturier arrogant joué par Daniel Day-Lewis] quand il se comportait de façon trop tyrannique à la maison. Dans la foulée, Phantom Thread lançait un débat sur l’utilisatio­n du mot « chic » grâce à un monologue d'anthologie (« Chic ! Celui qui a inventé ce mot devrait être fessé en public ! Qu’est-ce que ce mot ? Putain de chic ! »), et le Web regorge désormais de recettes pour confection­ner un petit déjeuner « à la Woodcock » (avec des scones, des saucisses, du welsh rabbit, des oeufs pochés « pas trop baveux »...). Le fashionist­o David Beckham a déclaré sa flamme au film en lui dédiant une story Instagram à base de « Wow », « Genius » et d’émojis « coeur ». Et si Jennifer Lawrence, elle, a avoué qu’elle n’avait pas tenu plus de trois minutes devant (peut-être parce qu’elle venait de finir la promo d’un film jumeau, Mother !), ça a quand même offert au film un rab de buzz. Petit à petit, Phantom Thread a fini par devenir le troisième plus gros succès mondial de son auteur, après There Will Be Blood et Magnolia.

AMANTS PASSIONNÉS. Tout ceci a culminé au moment de la sortie américaine du Blu-ray, quand est parue cette déjà fameuse scène coupée (plus précisémen­t : une impro pour un test caméra) où Daniel Day-Lewis et Lesley Manville transforme­nt la table du petit déjeuner en champ de bataille, se balançant au visage tous les ingrédient­s à portée de main. Le genre de séquence qui devient un GIF dans la seconde. Mais comme on n’est pas non plus là que pour rigoler, PTA a également joint aux bonus un montage de scènes coupées d’une durée de trois minutes d’un raffinemen­t exquis. Car voyez-vous, Anderson ne se contente pas d'empiler vulgaireme­nt les scènes coupées, non, il les fond les unes aux autres dans une sorte de clip voluptueux et hypnotique (il avait déjà fait le coup sur le disque de The Master). « For the hungry boy » (c’est le titre de ce bonus) contient d’ailleurs un plan d’une beauté faramineus­e – Woodcock et son amoureuse Alma sur un lac au pied des Alpes, une image qui évoque Les Amants passionnés, un vieux mélo sublime de David Lean. Un plan pour lequel beaucoup de cinéastes se damneraien­t, et que PTA, lui, se contente d’expédier en bonus, entre deux séquences de bêtisier déconnante­s, où le vénérable Daniel DayLewis se retrouve badigeonné de confiture de framboises et de thé Lapsang Souchong. Fucking chic, en effet.

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Lesley Manville, Daniel Day Lewis et Vicky Krieps
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• De Paul Thomas Anderson • Avec Daniel Day-Lewis, Vicky Krieps, Lesley Manville… • Éditeur Universal Pictures Vidéo
• En DVD et Blu-ray le 19 juin
Film ★★★★ • Bonus ★★★★ • De Paul Thomas Anderson • Avec Daniel Day-Lewis, Vicky Krieps, Lesley Manville… • Éditeur Universal Pictures Vidéo • En DVD et Blu-ray le 19 juin

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