LE SPÉCIALISTE
Six mois après la disparition de Johnny Hallyday, réédition de trois de ses films restaurés en DVD et Blu-ray : le musical à sa gloire D’où viens-tu Johnny ?, le thriller Point de chute et le western spaghetti Le Spécialiste.
C’était la période où je bouclais un film entre deux tournées pour m’amuser avec les potes. Je ne faisais pas du cinéma sérieusement comme aujourd’hui. Je ne me demandais même pas si j’étais bon ou mauvais. Ce n’est pas que je regrette ces films, mais disons que j’aurais pu m’abstenir. Quand je les regarde aujourd’hui, je me demande comment j’ai pu y aller. Mais ça me fait plutôt rigoler. » Voilà comment un Johnny Hallyday de 59 ans, interviewé dans Première en octobre 2002, se souvenait de D’où viens-tu Johnny ? Le film, sorti en octobre 1963 alors que le chanteur est au sommet de sa gloire, est à l’origine un véhicule pour la jeune star. Beaucoup mieux que Cherchez l’idole, sorti quelques mois plus tard. D’où viens-tu Johnny ? est déjà un western, situé en Camargue, où notre héros (assisté de Sylvie Vartan) y chante notamment Pour moi la vie va commencer. Il s'agit d’un film purement commercial où le chanteur ne cherche pas vraiment à incarner un nouveau James Dean, mais surtout à casser son image de blouson noir : en 1963, divers incidents (le drame de La Marseillaise version rock chantée le 14 juillet, le concert Salut les copains place de la Nation qui dégénère...) menaçaient de transformer Johnny en infréquentable voyou. Le film s’ouvre d’ailleurs sur le refus de Johnny de transporter de la drogue pour le compte d’un malfrat joué par André Pousse. Gentiment cool dans sa démarche de copie franchouillarde de Bagarres au King Créole avec Elvis, D’où viens-tu Johnny ? semble avoir atteint des distances inattendues en termes de postérité : Johnny s’appelle Johnny Rivière dans le film, ce qui pourrait avoir inspiré Rebecca Zlotowski et Teddy Lussi-Modeste pour leur film de boxe gitan et sudiste Jimmy Rivière (2011).
LE GRAND BRUIT. TF1 Studio propose également deux films de Johnny sortis en 1970, dans des éditions avec livrets et bonus copieux (présentés par Philippe Manoeuvre ou Jean-François Rauger de la Cinémathèque) : Point de chute et Le Spécialiste. Le premier est un thriller signé Robert Hossein, qui a engagé Johnny immédiatement après avoir vu Le Spécialiste et qui a pu convaincre les producteurs de faire mourir la star – dans la peau d’un preneur d’otages mutique – à l’écran. Le Spécialiste reste le gros morceau de cette salve de rééditions : un western spaghetti signé du grand Sergio Corbucci. C’est Hallyday, frappé par le génial Grand Silence (1968), western glacial et nihiliste avec Klaus Kinski et JeanLouis Trintignant en pistolero muet, qui a fait venir Corbucci. En effet, le producteur Pierre Braunberger avait promis de donner au chanteur n’importe quel film suite au fiasco des Armes de la colère, jamais achevé. Très divertissant, Le Spécialiste est de toute évidence l’antithèse parfaite du Grand Silence. Un western au look sixties même pas dissimulé qui coche toutes les cases du spaghetti (des gueules, du cul, de la violence, du fric et même un Mexicain manchot et psychopathe) avec une frénésie à la limite de la parodie, où Johnny, cool et matois, se fait pourtant bouffer à l’écran par une Françoise Fabian stupéfiante en banquière vénale. Pas étonnant que le film se soit fait joliment moquer dans une BD du magazine Pilote, proposée en bonus dans le Blu-ray du Spécialiste. « C’est aussi un film important parce que c’est la première fois que je ne chante pas, se rappelait Johnny en 2002. C’est vrai que mon jeu d’acteur est minimaliste, mais, de toute façon, dans les westerns, il n’y a pas grand-chose à faire. Un regard et un cigarillo suffisent. » Comme à son habitude, il avait conservé le clap du film et l’accessoire que son personnage porte le plus souvent : la paire de bottes du flingueur vengeur. Elles font toujours partie de son héritage.