SUR UN PLATEAU
Le Bureau des légendes créée par Éric Rochant
« JE VOULAIS PRENDRE UN PEU DE DISTANCE ET PASSER LA MAIN EN DOUCEUR. » ÉRIC ROCHANT
Cité du cinéma de Saint-Denis, un matin d’avril. Sur les vastes murs extérieurs du pôle cinéma initié par Luc Besson se déploient les affiches de Taxi 5 et d’une imminente exposition consacrée à Jurassic World. Au milieu figure aussi une imposante image de la saison 3 du Bureau des légendes. En entrant, on découvre les décors bien connus de la série d’espionnage de Canal+ créée par Éric Rochant : locaux de la DGSE, salles de crise, couloir où sont alignés les portraits de tous les anciens directeurs... Le tournage de la très attendue saison 4 a commencé il y a deux mois et on aperçoit dès notre arrivée de nouvelles têtes. Mathieu Amalric, invité surprise du casting, joue une scène d’intense discussion avec Florence Loiret- Caille (Marie-Jeanne Duthilleul, désormais directrice du BDL en remplacement d’Henri Duflot, qu’interprétait JeanPierre Darroussin) et Gilles Cohen (Marc Lauré, alias MAG, le directeur du renseignement). Amalric incarne JJA, directeur de la DSEC – la sécurité interne de la DGSE – qui souhaite nettoyer le Bureau des légendes. Un personnage visiblement pointilleux et paranoïaque. Entre deux prises, l’acteur confie son excitation : « On apprend dans cette saison des choses absolument effrayantes sur le monde d’aujourd’hui. C’est pire que tout ce qu’on peut imaginer. » Derrière la caméra, on découvre Pascale Ferran, nouvelle venue et nommée « réalisatrice de référence » de la saison 4. Éric Rochant explique : « Je voulais prendre un peu de distance et passer la main en douceur. J’ai donc imaginé un système où je pourrais déléguer le travail de supervision des réalisateurs que je faisais jusqu’ici. Il me fallait quelqu’un qui s’y connaisse en direction d’acteurs, car c’est ce qu’il y a de plus important en mise en scène sur une série. Et Pascale, avec qui j’étais copain il y a trentecinq ans à l’IDHEC, est très forte avec les comédiens. » « Là, Florence gagne trop le match. JJA doit avoir plus confiance en lui... » La réalisatrice du multi-césarisé Lady Chatterley donne effectivement des indications de jeu particulièrement précises à Mathieu Amalric. « Je suis une fan absolue du Bureau des légendes depuis la première saison, confie-t-elle. C’est une série du niveau d’À la Maison-Blanche. On y trouve des comédiens
incroyables, avec un casting qui réunit des stars et des acteurs peu connus. Elle nous fait entrer par la fiction dans des pays où on n’a pas l’habitude d’aller, j’adore. » L’intéressée, filmant à deux caméras, multiplie les prises à un rythme ininterrompu. « Dès qu’on fait un plan, on en a deux. On peut donc beaucoup tourner, car on sait qu’au montage ils s’en arrangeront. Alors que sur mes films, j’ai très peu de sécurité et je passe plus de temps à chercher. » La réalisatrice décrit ces quatre mois de tournage comme une « folie furieuse » où tout doit se faire simultanément. Deux tournages distincts ont d’ailleurs lieu aujourd’hui, puisqu’Éric Rochant se trouve en Ukraine pour filmer d’autres séquences. Cette saison n’a clairement pas lésiné sur les moyens avec un budget de 20 millions d’euros, contre 17 pour la précédente. « Il faut régler 10 000 problèmes par semaine », confirme le producteur Alex Berger. Mais ce cassetête permanent a ses avantages. Libéré, le showrunner Rochant réalise cette fois les deux épisodes finaux. « Je n’aurais pas pu le faire par le passé car j’étais trop sur le montage et la postproduction. » Chacun signataire de deux épisodes, Ferran et Rochant réalisent aussi des segments d’autres épisodes : « On travaille comme ça cette année, précise Pascale Ferran. C’est-à-dire que je me charge de toute une ligne narrative, où qu’elle se situe dans la saison. » Une narration qu’Éric Rochant, à la tête d’une équipe de onze scénaristes, sait rendre alléchante : « La saison 4 est au diapason de ce qui se passe dans la réalité. La guerre en Syrie est en train de se terminer et c’est lié au grand retour de la Russie. On aborde aussi ce nouveau conflit qu’est la cyberguerre. » Comme le révèle le synopsis officiel, Malotru (Mathieu Kassovitz) s’est réfugié à Moscou, mais on découvrira aussi au cours de cette saison des djihadistes français à Mossoul ou Rakka.
Sorkin en modèle
Loin de ces terrains de guerre, les comédiens continuent à rejouer sous nos yeux la même séquence de dialogues des dizaines de fois, sans baisser la garde. « Dans Le Bureau des légendes, la dramaturgie entraîne presque de la littérature, comme dans les pièces politiques de Shakespeare, résume Gilles Cohen. On est dans quelque chose d’inéluctable et de tragique mais avec de l’humour. » Florence Loiret- Caille renchérit : « L’écriture est reine, elle a le pouvoir. On doit dans chaque séquence jouer sur autre chose que ce qui est dit. » « Pendant les lectures, j’ai réalisé que la DGSE est un cerveau commun. On cherche ensemble, conclut Mathieu Amalric. Et c’est pareil pour la fabrication de la série. » Preuve de cet esprit commun, Éric Rochant évoque également le modèle qu’est À la MaisonBlanche. « Le vrai piège est d’écrire une saison en fonction de la réception des précédentes. Alors qu’il faut plutôt faire fructifier les acquis, comme s’y attachait la série d’Aaron Sorkin. » Puis l’équipe change de décor pour une nouvelle scène et se rend dans l’ex-bureau de Duflot, ses parois en verre et son éclairage ténébreux. Au coeur de cette ambiance plus feutrée, le relâchement est interdit pour Pascale Ferran : « Dès qu’on faiblit sur le jeu, Éric est là. Il regarde tout le temps les rushes. » L’ombre du showrunner plane, et sa vision d’auteur – mise en scène cette année par Antoine Chevrollier, Anna Novion et Laïla Marrakchi, en plus de Pascale Ferran – promet d’être palpable. « La saison 4 sera probablement plus sombre que les autres. Car quand on avance dans la vie et qu’on n’a plus trop foi dans les utopies, la mélancolie devient dominante », reconnaît-il. Rendez-vous est pris pour le mois d’octobre. « On sera prêts avant, mais ça n’a pas de sens de diffuser durant l’été. » Pas de vacances en vue cependant pour Éric Rochant, l’écriture de la saison 5 ayant logiquement commencé en parallèle du tournage de la 4.
« LA SAISON 4 EST AU DIAPASON DE CE QUI SE PASSE DANS LA RÉALITÉ. » ÉRIC ROCHANT