Première

RENCONTRE

Vanessa Paradis

- PAR STÉPHANIE LAMOME

Un giallo LGBT romantique et voyeuriste sous forte influence De Palma, avec du cul, du cuir, du coeur. Et surtout Vanessa Paradis. Dans le rôle d’une productric­e de pornos gays 70s amoureuse de sa monteuse, Vanessa erre dans la nuit en quête de son amour perdu pendant qu’un serial killer masqué trucide tous ses acteurs les uns après les autres avec sa bite et son couteau. Alcoolique, sensuelle, agressive, désespérée, elle exhale une violence électrique jamais exploitée auparavant. Rencontre avec l’actrice, qui ne s’était jamais si bien abandonnée.

PREMIÈRE : Vous avez découvert le film hier soir...

VANESSA PARADIS : Oui ! Kate [Moran] et Nicolas [Maury], mes partenaire­s principaux, m’ont attendue pour qu’on le voit ensemble. C’était génial, on a ri, pleuré, nous étions bouleversé­s... Sur le tournage, Yann m’avait montré une séquence qu’il avait montée, je m’attendais à ce que le film soit beau mais là, c’est un cran au-dessus de tout ce que j’avais pu imaginer. Je reste un peu sans voix d’avoir eu la chance de participer à un tel film, c’est tout ce qui me fait vibrer. C’est un des tournages les plus heureux que j’ai vécus. Des technicien­s aux acteurs, tout le monde parlait le même langage et avait un enjeu créatif à défendre, on tournait en pellicule, ça ajoutait de l’intensité. Et puis, je trouve que le film fait réfléchir, il dit des choses politiques très importante­s sur la peur, les religions, les moeurs, le mariage pour tous... Il y a quand même un personnage qui prononce cette réplique : « Ça te fait bander de tuer du pédé ? » C’est dit sans démonstrat­ion, mais c’est dit.

C’est la première fois que vous avez autant un sentiment de troupe sur un tournage ?

Non, je l’ai déjà connu sur des films comme La Fille sur le pont, mais dans un autre genre. C’était il y a longtemps, je n’avais pas le même abandon, je ne me sentais pas autant en confiance avec qui je suis, avec qui je joue.

Qu’est-ce qui a fait sauter ce verrou ?

La vie. C’est une corrélatio­n de plein de choses. En vieillissa­nt, j’espère qu’on s’améliore, on porte moins de jugement sur soi-même. Après, c’est contagieux. Quand on fait partie d’une équipe dirigée par un metteur en scène aussi créatif que Yann, aussi bienveilla­nt, on est embarqué. Il est aussi gentil et humble dans la vie que sur un plateau, où il joue pourtant sa vie. Même quand on avait quelques heures de dépassemen­t, qu’il faisait 58 degrés, il restait le même.

Même avec les tiques qui vous pompaient le sang dans la campagne tourangell­e ?

On en a tous eu ! SOS Médecins est venu et nous a tous inspectés les uns après les autres dans une grange. En plus, Romane [Bohringer] venait juste de nous raconter des histoires terribles sur la maladie de Lyme ! (Rires.)

Vous connaissie­z le travail de Yann Gonzalez ?

J’avais vu Les Rencontres d’après minuit, et par la suite, ses courts métrages. Mais c’est le scénario qui a été décisif. Je l’ai refermé sans avoir l’ombre d’un doute. Après, j’ai rencontré Yann et j’ai su tout de suite qu’on allait s’entendre !

Vous savez comment il a pensé à vous ?

Je ne lui ai pas demandé. Je lui ai juste dit : « Quelle bonne idée tu as eue de me choisir ! » J’imagine qu’il aime la chanteuse, la femme que je suis aussi. Le premier jour de tournage, je me suis dit : « Bon, allez, je joue une femme de pouvoir alcoolique, lesbienne, amoureuse, larguée, désespérée, violente », et je suis arrivée sur le plateau comme une furie. Comme ce n’est pas ma nature, j’avais besoin de pousser le curseur à fond pour voir jusqu’où je pouvais aller. Ce à quoi Yann a répondu : « Oui, je veux ça, mais surtout, je veux te voir toi. » Évidemment, il faut qu’on aime Anne, elle ne peut pas n’être qu’un bulldozer, il voulait que j’apporte mon humanité. Je me suis posé beaucoup de questions sur l’intensité que je devais donner au personnage, il y a tellement de choses en elle qu’il fallait doser. On a fait très peu de lectures en amont. Juste une scène, une fois, avec Yann, en tête à tête. Il voulait sonder mon côté mère maquerelle !

La cinéphilie de Yann Gonzalez est un peu undergroun­d à la base. Vous la partagez ?

Je suis toujours très friande de découvrir des univers que je ne connais pas. Les films de genre qui l’inspirent, les séries Z, moi je ne suis que touriste là-dedans ! Yann m’en a donné quelques-uns à voir, pas seulement pour nourrir le personnage mais pour l’ambiance aussi. Simone Barbès ou la Vertu de Marie- Claude Treilhou : ça, c’était pour l’ambiance. Il y avait aussi Neige de Juliet Berto et Jean-Henri Roger, Possession d’Andrzej Zulawski, Pulsions de Brian De Palma... Tous m’ont donné des indices, des couleurs, des odeurs, des sons, une façon de déambuler dans un couloir, d’ouvrir une porte par exemple.

Et les giallos, les films de Dario Argento ?

Je ne suis pas cinéphile comme l’est Yann, on n’en a pas vraiment parlé. Il y a plein de chefs-d’oeuvre que je n’ai jamais vus !

Votre personnage est inspiré d’une productric­e de pornos gays des 70s qui a réellement existé. Avez-vous fait des recherches sur elle ?

Non. Yann ne le souhaitait pas, et puis il existe très peu de choses sur elle. Yann a récupéré quelques affiches de films, mais c’est tout.

Comment avez-vous travaillé son look si fétichiste ?

La perruque blond platine à frange est arrivée très vite. On a pas mal regardé Blondie et on s’est éclaté sur le maquillage charbonneu­x de la fin des années 70. Mais avant Blondie, pour moi, Anne était très Gena Rowlands, même si moins classieuse. Anne est très femme, mais abîmée, avec des litres de whisky dans le corps, donc avec les paupières lourdes et un peu de rouge dans les yeux. Gena Rowlands marche comme un chat, moi, comme si j’allais défoncer les portes ! Yann était très précis aussi dans ses intentions pour les costumes. On a très vite trouvé la ligne du personnage, notamment quand on a mis la main sur les bottes rouges. Comme elles étaient vintage, elles n’étaient pas tout à fait à ma taille, trop petites d’une demi-pointure. Du coup, quand il faisait chaud, j’avais du mal à les enfiler, je gonflais dedans, puis quand on passait aux scènes de pluie, elles rétrécissa­ient ! Ma hantise, c’était que le talon

« UN TEL FILM, C’EST TOUT CE QUI ME FAIT VIBRER. » VANESSA PARADIS

pète : on n’avait qu’une seule paire et il était tellement fragile ! Tout ça participai­t à la tension du personnage, finalement. Et puis il y avait ce fameux imper vert en vinyle qu’un des copains de Yann m’a prêté. Mais j’ai gardé les bottes ! Cet imper, on savait qu’il allait nous planter des scènes au son à cause du bruit qu’il faisait, mais on n’a jamais trouvé mieux !

Le film est un chagrin d’amour qui prend la forme d’un thriller. Pour vous, Anne se définit-elle avant tout comme une femme amoureuse ?

Oui, l’amour est au coeur du film. Anne est une femme désespérée d’avoir perdu celle qu’elle aimait, elle veut produire un film exceptionn­el pour être à nouveau admirée par elle. Tous ces castings qu’elle fait passer, ces acteurs qu’elle engage, finissent par parler d’amour.

Anne est violemment amoureuse, violemment érotique aussi...

Quand elle fait passer des castings, c’est un peu une mante religieuse, en mode machine de guerre, et elle est un peu « boutique ouverte », oui. Je redoutais la scène sous la pluie où je poursuis Kate, où je lui hurle dessus et où je l’agresse, j’avais peur de cette violence physique, de faire mal. Ce sont des scènes qui nécessiten­t une concentrat­ion particuliè­re, psychologi­que, mais le reste du temps, on rigolait beaucoup sur le tournage. On partageait une petite loge remplie d’accessoire­s porno bizarres et de créatures de la nuit fabuleuses. Simon [Thiébaut], par exemple, qui joue un travesti maîtresse sado, débarquait avec ses propres fringues, un jour en total look cuir noir, le lendemain en dentelle/corset avec sa perruque blonde jusqu’aux fesses, tandis que l’habilleuse essayait les fausses bites pour voir si elles étaient bien accrochées ! Il y avait aussi l’acteur qui jouait le tueur [ Jonathan Genet], à qui Yann avait demandé de ne jamais enlever son masque et de ne pas parler pour entretenir le mystère. Tout ça créait une ambiance à la fois ludique, festive et tellement joyeuse !

Vous attendiez un rôle excessif comme celui-ci ?

Quand on est comédienne, on n’attend que des choses exceptionn­elles. Parfois, on dit oui pour un personnage, ou pour un metteur en scène, ou pour une histoire, et parfois, on a le bonheur d’avoir tout à la fois comme avec Un couteau dans le coeur.

Entre Chien de Samuel Benchetrit et Frost de Sharunas Bartas, vous avez récemment joué des petits rôles forts dans des films d’auteur exigeants. Et maintenant, le premier rôle d’un film de Yann Gonzalez. Il y a une envie chez vous de faire prendre un virage à votre carrière ?

Tant mieux si ça peut faire prendre ce viragelà ! Je fais du cinéma pour ça, sinon, je préfère chanter. Quand on a un statut de chanteuse populaire et qu’on est là depuis trente ans, on a une image parfois trop imposante pour un réalisateu­r, c’est normal. Ajoutez à ça les médias, les photos, Chanel, et ça peut pas mal brouiller les pistes.

Avez-vous envie d’aller vers des cinéastes, d’initier des rencontres ?

À chaque fois que j’ai écrit à un metteur en scène pour lui dire que j’adorais ce qu’il faisait, il était très content, mais ça s’arrê- tait là ! Et quand je félicitais un acteur ou une actrice, souvent il y avait de la gêne. Alors finalement, je me suis dit que je ne le ferais plus. Et puis le désir d’un metteur en scène ne peut venir que de lui. Après, il y a d’autres fonctionne­ments. Par exemple, je n’étais pas du tout l’idée de départ de JeanMarc Vallée pour Le Café de Flore, un film dont j’ai adoré le scénario. Notre rendez-vous s’était mal passé, j’étais arrivée en retard, un de mes enfants était malade, ça l’avait énervé, et comme il m’avait un peu bousculée, je lui avais répondu un peu fermement. Au final, je crois que c’est ce qui lui a plu ! Comme je fais le métier de comédienne à mi-temps, je suis sans doute moins à l’affût, je ne vais pas forcément chercher des livres en pensant à les adapter ou monter des projets, je n’ai pas cette ambition-là. Il y a longtemps, j’ai fait quatre ou cinq films avec Christian Fechner, parce que c’était quelqu’un que j’aimais beaucoup. Avec lui, j’ai eu des envies, mais peut-être que mes idées n’étaient pas bonnes.

Récemment, c’était plutôt un métier à plein temps !

Oui, l’année dernière, j’ai tourné cinq films [ Maryline de Guillaume Gallienne, Frost

de Sharunas Bartas, Chien de Samuel Benchetrit, Big Bang de Cécilia Rouaud, Un couteau dans le coeur], dont trois dans des petits rôles de cinq ou dix minutes. Je me suis sentie très actrice ! D’habitude, on ne pense jamais à moi pour ce genre de rôles, les réalisateu­rs sont persuadés que je ne les accepterai jamais. C’est dommage. Moi, en musique, je m’en fous d’essuyer des refus, ce n’est pas grave. Tourner des petits rôles marquants me fait rêver depuis très longtemps. Je l’avais déjà fait avec Guillaume Nicloux dans La Clef, en me disant que les gens allaient comprendre que je ne me déplaçais pas que pour être en tête d’affiche. Bref, tout ça est arrivé à un moment où il ne se passait pas grand-chose pour moi : soit on me proposait des rôles qui ne me plaisaient pas, soit on ne m’en proposait pas du tout, ça devenait même très inquiétant ! Yann a été très courageux de me proposer ce rôle-là à ce moment-là.

Avez-vous parfois eu des choix cornéliens à faire entre musique et cinéma ?

Non, pour moi, ça a souvent été plutôt des choix de vie. J’ai vu passer des beaux films. Je me dis toujours que quand je serai très vieille, ce ne sont pas mes choix de carrière qui compteront.

Vous ne regrettez pas certains rendez-vous manqués, comme celui avec Leos Carax par exemple ?

C’était il y a très longtemps, je devais avoir 17 ou 18 ans. Il a voulu me rencontrer, mais comme il est très timide et moi aussi... on n’a pratiqueme­nt pas parlé. Après, il était peut-être déçu aussi, je ne sais pas... On ne s’est pas ratés, on n’a juste pas fait de film ensemble. Les regrets, ça ne sert à rien, je préfère avancer !

UN COUTEAU DANS L E COEUR

De Yann Gonzalez • Avec Vanessa Paradis, Kate Moran, Nicolas Maury...

• Durée 1 h 40 • Sortie 27 juin

« J’AI REFERMÉ LE SCÉNARIO SANS AVOIR L’OMBRE D’UN DOUTE. » VANESSA PARADIS

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ILLUSTRATI­ONS RICHARD DAVIES
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Vanessa Paradis dans Un couteau dans le coeur
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Vanessa Paradis et Nicolas Maury
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