SÉLECTION VIDÉO
Matrix ; Verónica ; Phantom Thread ; Le Spécialiste ; notules DVD
Le classique des Wachowski revient dans une version remastérisée 4K supervisée par son directeur de la photo, Bill Pope. Et vous ne l’avez jamais vu comme ça.
C’était il y a presque vingt ans. Le 31 mars 1999 (23 juin 1999 en France), un film de petits malins surgissait sans crier gare sur les écrans, prenant le monde entier par surprise, à commencer par les spectateurs de plus de 16 ans. Un film en symbiose parfaite avec les préoccupations des adolescents – et des post-adolescents – d’alors. Citant pêlemêle l’Internet émergeant, les anime et les mangas, les jeux vidéo violents de type Doom, les comicbooks de superhéros, le rock alternatif et le cinéma d’action de Hong Kong, Matrix provoquait un coup de tonnerre dans le désert du cinéma d’action américain. Sur le même modèle que le premier Star Wars, l’« originalité » du film des Wachowski était de rassembler et combiner une quantité incroyable de visuels et de thèmes underground, éparpillés et oubliés, pour les transcender. En ce sens, Matrix était aussi radical pour son époque que La Guerre des étoiles l’avait été, vingtdeux ans auparavant. Avec 463 millions de dollars raflés au box-office mondial, des critiques de presse dithyrambiques et des files d’attente interminables, Matrix s’imposait comme un véritable événement. Son impact fut tel que de nombreux réalisateurs reprendront à leur compte son inventivité visuelle (X-Men, Le Pacte des loups, Mission : Impossible 2). Les directeurs de combats de Hong Kong deviendront d’un coup la coqueluche de Hollywood, apportant un souffle nouveau au cinéma d’action et relançant le genre superhéroïque, avant que les deux suites (Matrix Reloaded et Matrix Revolutions) viennent refroidir l’ambiance et faire brutalement retomber le soufflé en 2003. Vingt ans plus tard, les habits de l’Empereur ont été arrachés. Larry et Andy Wachowski sont devenus des réalisatrices [Lana et Lilly], semant la confusion sur leur identité (les programmes télé hésitent toujours entre créditer le film aux frères, ou aux soeurs Wachowski). Et les cinéastes dont les oeuvres ont été pillées par les frangines s’accordent à dire que, malgré ses emprunts, Matrix a marqué un tournant de l’histoire du cinéma : citons Alex Proyas, le réalisateur de Dark City, auquel Matrix a emprunté son scénario, ses décors et sa direction artistique (en la personne de Michelle McGahey) ; Grant Morrison, le scénariste des Invisibles, comic-book qui a servi de story-board a de nombreuses scènes d’action du film ; et enfin James Cameron qui avait vu son script d’Avatar, avec ses scènes de caisson en suspension et contrôle d’un autre corps « virtuel » à distance, fuiter à Hollywood et sur le Net quatre ans auparavant... Peu importe donc, finalement, que les deux suites de Matrix soient, comme nous le confiait récemment Grant Morrison, « les pires films jamais faits. Ils sont irregardables, alors que le premier est et restera un classique ». Voilà, tout est dit. Lui seul est « unique » et Warner l’a très bien compris, en le rééditant à part, sans les deux autres. Depuis quinze ans, le « syndrome Matrix » est une expression courante à Hollywood, utilisée pour qualifier toute suite peinant à retrouver l’efficacité et la splendeur de l’original. Les fans editors essayent toujours de refondre Reloaded et Revolutions en un seul film, meilleur, sans jamais y arriver. Matrix 2 et 3 n’ont donc pas leur place ici.
MATRIX EST AUSSI RADICAL POUR SON ÉPOQUE QUE STAR WARS
VINGT-DEUX ANS AUPARAVANT
BEST-SELLER. Signe que les Wachowski ont été prises de court et dépassées par le succès de leur film, au point de se questionner aussi sur son identité visuelle, Matrix a toujours souffert de son passage du cinéma au support vidéo. Il avait été édité conjointement en VHS, Laserdisc et DVD en 2000, dans un premier master basé sur un scan haute définition, mais à l’étalonnage déjà modifié. Envolé, l’aspect film noir des copies 35 mm. Le film était transformé : ses images étaient trop jaunâtres dans les scènes
de la Matrice, trop douces dans les scènes de réalité, et généralement meilleures dans les extraits proposés en format plein écran dans les bonus inclus. Un comble. Cela n’avait pas empêché ce premier DVD dans son boîtier cartonné (marque de fabrique Warner) de devenir un best-seller mondial, et l’un des titres phares du format, qu’il a littéralement aidé à s’implanter.
REDUX. En 2004, les Wachowski profitent de la sortie en vidéo de Reloaded et Revolutions pour transformer à nouveau le premier Matrix. Le résultat est un relifting qui tient encore plus du révisionnisme : les contrastes ont été poussés, les blancs explosés, et une teinte verdâtre écolo-bio domine le film sur toutes les scènes dans la Matrice (même les poils de barbe sur le visage de Neo apparaissent désormais verts, comme si du gazon poussait sur son visage). Matrix a été révisé pour ressembler à ses deux suites. Coincée avec cette version approuvée par les réalisatrices, Warner ne pouvait par la suite que la recycler. C’est malheureusement ce même master, ressemblant à une mauvaise vidéo en DV, qui continua à être commercialisé en HD-DVD puis en Blu-ray pendant plus d’une décennie, tandis que dans les bonus, les extraits de superbe tenue vieux de vingt ans continuent à narguer les spectateurs ! Pendant ce temps, des tentatives de « sauver » Matrix sont menées par des fans zélés (outrés par les frasques des Wachowski), organisés en résistants dans l’obscurité des bas-fonds d’Internet, une situation ironique au regard du sujet du film. Des sauvegardes du premier master de 2000 en version HD sont donc effectuées à partir de diffusions télévisées et gravées sur des Blu-ray échangés sous le manteau. Lorsque des CD originaux de la piste-son DTS jouée en salles sont repérés sur les sites de vente en ligne, ces mêmes fans découvrent que les cinéastes ont aussi retouché la bandeson originale, atténuant fortement l’impact du film tel qu’ils l’ont vu en salles. Leur contenu est donc synchronisé avec ce premier master HD. Par la suite, quand des copies 35 mm originales apparaissent à la vente en ligne, les fans se cotisent pour en acheter une et la scanner, pensant toucher le Graal. Mais un débat va les diviser sur le look du film dans cette copie, tant elle apparaît différente de tout ce qui existe en DVD et Blu-ray. Face à ce regain d’intérêt, Warner s’est finalement décidée à passer à l’action. Matrix revient donc ces jours-ci en Blu-ray 4K UHD, dans un nouveau scan tiré du négatif original, supervisé par son directeur de la photographie Bill Pope (qui, outre Matrix, a aussi éclairé Spider-Man 2 et 3 ainsi que Baby Driver). C’est le premier remaster du film depuis quinze ans – sans l’ombre des Wachowski cette fois, qui se contentent d’un message écrit. Très attendue, cette nouvelle version devrait tirer parti au maximum des possibilités avancées qu’offre l’étalonnage HDR, pour rapprocher le film de son expérience cinéma originale. Matrix a aussi été remixé en Dolby Atmos, une version revenant aux fichiers sources, qui devrait lui rendre la puissance et l’impact de son mixage d’origine entendu en salles. Souvenez-vous, il n’est pas possible de décrire l’expérience Matrix. Vous devrez l’explorer par vous-même.