SÉLECTION SÉRIES
Trust ; Black Books ; Three Girls ; Nu
Peut-être à cause d’une légère overdose de reconstitutions télé d’affaires célèbres, mais plus probablement en raison du film de Ridley Scott sur le même sujet sorti à Noël, la série Trust de Danny Boyle et Simon Beaufoy est actuellement diffusée sans faire de vagues, ignorée par le public et la critique. Depuis mars sur la chaîne américaine FX (et sur Canal+ depuis mai), elle chronique l’enlèvement du petitfils Getty (John Paul Getty III) en 1973, mais aussi les coulisses du Xanadu détraqué que hante son excentrique grandpère (John Paul Getty), l’Italie mafieuse de l’époque et la culture seventies de la drogue chez les ultrariches, ne parvenant à rencontrer qu’une indifférence médiatique polie et 700 000 petits spectateurs par épisode. L’idée communément répandue étant que le film de Ridley Scott relevait déjà de l’anecdote, que deux fictions Getty à trois mois d’intervalle, c’est au moins une de trop, et qu’il y en a de toute façon un peu marre de s’étonner du train de vie stupide et dévoyé des riches et puissants quand l’actu fait quotidiennement des gorges chaudes de Trump et des siens. On pouvait soi-disant faire l’impasse dessus en toute sérénité, sachant en plus que d’autres fixettes True Crime se tiennent toujours en embuscade quelque part.
TRAINSPOTTING CHEZ LES RICHES.
Mais cela pose quand même problème au regard des efforts de production sidérants déployés tout au long des dix épisodes de Trust. C’est une série qui n’a pas peur d’en faire trop et décide assez vite qu’elle n’a pas le choix : l’épouvantable Getty (magnifiquement sous-joué par Donald Sutherland) rechigne à payer son journal du matin, s’amuse à lâcher ses chiens sur son jardinier, se fait des injections dans la bistouquette pour bander et s’entoure d’un harem de femmes qui cohabitent dans une apparente harmonie mais se tirent silencieusement la bourre pour gagner une place dans son coeur (son testament), etc. Soucieux de se faire rattraper par l’énormité « incroyable mais vraie » des personnages et des situations qu’il filme, Boyle se tient à bonne distance pour poser sur toute cette décadente ménagerie un regard comique, acide, mêlé de fascination. Les Anglais ayant toujours les moyens musicaux de leurs ambitions, il se fait aider de tous les standards british pop de l’époque (plus quelques tubes eurodance), disséminés à la louche avec la régularité d’un juke-box et achevant de faire ressembler Trust à une sorte de « Trainspotting chez les riches ». Ça s’organise dès le plan séquence d’ouverture : une expédition dingue à travers une fête sur les collines de Hollywood, montée sur le Money des Pink Floyd, qui rentre et sort de la piscine (hola Soy Cuba), traverse un grand jardin rempli de Vénus et d’Apollons et passe sous une porte de garage (hello Panic Room), où l’un des fils suicidaires du magnat du pétrole s’enfonce une broche à poulet dans le bide... Il n’y a quasiment que des victimes et des pourris dans Trust. Et ça non plus, ça n’a pas dû jouer en sa faveur.
C’EST UNE SÉRIE QUI N’A PAS PEUR D’EN FAIRE TROP ET DÉCIDE ASSEZ VITE QU’ELLE N’A PAS LE CHOIX
MORGUE FACÉTIEUSE. Le jeu des comparaisons avec le film de Scott s’arrête là, à cette façon de traiter le sujet (l’argent poison) en s’y vautrant. La série couvre aussi plus de terrain, détaillant la vie domestique du
vieux Getty et son absence d’efforts pour payer la rançon, les rebondissements du kidnapping du jeune John Paul (il en est d’abord l’initiateur, puis passe aux mains de différents ravisseurs) et le calvaire inattendu de ses kidnappeurs à moustache (splendide évocation hors champ des années de plomb). Avec la morgue facétieuse des mauvais garçons, Boyle redouble d’énergie dès qu’il s’agit de filmer des scènes de drogue, de danse, de tirs à l’arme à feu ou de cavalcade mortelle, sans qu’on sache vraiment si c’est pour maintenir notre intérêt ou bien le sien. Il y a des lenteurs, quelques détours superflus dans l’intrigue et la violence. Mais la série témoigne d’une telle liberté de ton et de format qu’elle l’emporte au culot. L’épisode 3, La Dolce Vita, voit John Paul (Harris Dickinson) enfermé dans le coffre d’une voiture, se remémorant en flash-back son existence hippie à Rome. Le second (Lone Star) est consacré à Fletcher Chace, le fixer du vieux Getty, spécialement dépêché en Italie (génial Brendan Fraser, étonnement plus badass que Mark Whalberg dans le film de Scott) – le seul autorisé à s’adresser directement à la caméra... Le spectacle est ignoble, mais on s’amuse beaucoup. Les acteurs aussi, c’est évident.
REGARDEZ SI VOUS AVEZ AIMÉ Toutl’argent dumonde (2017), Trainspotting (1996), LaGrandeBellezza (2013)
Pays Grande-Bretagne, USA • Créée par
Simon Beaufoy • Avec Donald Sutherland, Harris Dickinson, Brendan Fraser…
• Nombre d’épisodes vus 7 • Sur Canal+