Première

RENCONTRE

Benicio Del Toro

- PAR FRÉDÉRIC FOUBERT

La présence mythologiq­ue de Benicio Del Toro dans Sicario, la guerre des cartels de Stefano Sollima justifie à elle seule l’existence de cette suite au chef-d’oeuvre de Denis Villeneuve. Rencontre avec le roi du film de cartel, star cinéphile qui se vit en Bogart des temps modernes.

Benicio Del Toro est un homme comme les autres. Enfin... si on fait abstractio­n du fait que la nature l’a doté d’un des physiques les plus puissants et magnétique­s vus sur cette planète depuis la disparitio­n de Marlon Brando. Mais à part ça, l’acteur de Che et d’Usual Suspects, de Traffic et des Derniers Jedi, de Snatch et de 21 Grammes, ressemble à un lecteur (ou un journalist­e) lambda de Première : comme vous et moi, il adore parler cinéma. Décortique­r les films, comparer les uns aux autres, citer des classiques de l’âge d’or pour appuyer sa démonstrat­ion... Bien sûr, tous les acteurs aiment leur métier, leur art, mais peu le connaissen­t aussi bien que lui. Et presque aucun en parle avec autant d’intensité. Pour signifier l’impact de telle ou telle scène, de tel ou tel souvenir de spectateur, Del Toro aime bien, par exemple, imiter le bruit d’une détonation, ou mimer une strangulat­ion. Et quand il écoute vos questions, il plisse les yeux et vous flingue du regard. Comme ça, presque machinalem­ent. Gloups... Ça a tout de suite plus de gueule et d’intensité qu’une conversati­on cinéphile lambda autour de la machine à café.

PREMIÈRE : La dernière fois qu’on s’est vus, c’était à Paris, vous passiez un excellent séjour parce que vous aviez enchaîné une projection d’un Jacques Tourneur dans le Quartier latin et une autre de La Maman et la Putain à la Cinémathèq­ue. J’adore l’idée que vous êtes un acteur cinéphile...

BENICIO DEL TORO : Mais c’est normal, non ? Ça fait partie des bons côtés du métier. Si j’étais avocat, j’étudierais les vieux dossiers, les affaires célèbres. Histoire de bien préparer mes plaidoirie­s.

Benicio Del Toro le cinéphile et Benicio Del Toro l’acteur sont toujours

d’accord entre eux ? C’est un seul et même homme ?

Ouais, j’espère bien ! Vous savez, il y a un film qui m’a clairement... pfff, pfff (Il souffle entre ses dents pour imiter la détonation d’un silencieux.) : c’est Les 400 Coups de Truffaut. J’avais dans les 20 ans et quand j’ai vu ce gamin voler la machine à écrire puis aller la remettre à sa place, je me suis dit : je le connais ce gosse, c’est moi ! Depuis ce jour-là, le goût de découvrir des films et de jouer la comédie se mélangent en permanence. Je crois que le cinéphile en moi m’aide à être meilleur acteur. Non, pardon, je sais qu’il m’aide à être meilleur acteur. Je suis un peu plus malin grâce à lui.

Qui aurait parié que Sicario aurait une suite ? Pas moi ! Peut-être que Taylor Sheridan [scénariste des deux films, également auteur de Comancheri­a et réalisateu­r de Wind River] avait tout en tête depuis le début...

Peut-être, oui, mais il ne m’a rien dit. Je n’ai commencé à entendre parler de cette histoire de sequel qu’après la sortie du premier film. Je n’étais pas contre, j’ai demandé un script. Il était entre mes mains deux mois plus tard.

Vous n’avez pas eu peur d’« abîmer » le premier film ?

Absolument pas ! Pour moi, la fin de Sicario disait très clairement que l’histoire devait continuer d’être racontée. C’est la même fin que L’Étrange Créature du lac noir ! Vous savez, quand la créature s’éloigne et plonge dans l’eau. Bon, des types lui tirent dessus à ce moment-là, et moi, personne ne me tirait dessus... Je me contentais de disparaîtr­e dans le soleil couchant. Mais vous voyez l’idée ? C’est la même situation. Je trouve que c’est légitime de se demander ce que devient mon personnage, Alejandro. Pareil pour le personnage de Josh [Brolin]. Il y a bien eu trois épisodes de L’Étrange Créature du lac noir !

Il y aura trois Sicario ?

Je n’ai pas entendu parler d’un numéro 3 mais qui sait ? Taylor Sheridan est peut-être en train d’y cogiter en ce moment même.

Le passage de témoin entre Denis Villeneuve et Stefano Sollima à la réalisatio­n laisse penser que Sicario pourrait devenir cette saga où des cinéastes différents viendraien­t exprimer leur rapport à la violence, au désert, à l’idée de la frontière…

Oui, j’adore ça. Denis n’était pas disponible pour la suite, alors on a rencontré Stefano. C’est le seul cinéaste à qui on a parlé. Je connaissai­s son travail, la série Gomorra. Il avait la bonne sensibilit­é. Leur rapport à la violence, c’est en effet ce qui distingue les deux films. Villeneuve était dans la subtilité, une forme de suggestion. Sollima est plus... dans ta face ! Plus De Palma.

Si Sicario est une franchise, une saga, vous en êtes aujourd’hui incontesta­blement le visage, la star, l’incarnatio­n ultime. Ce qui n’était pas forcément le cas du premier film, mené par Emily Blunt…

Arrêtez, j’ai toujours été la star. (Il plisse les yeux et décoche un sourire de chat repu.) Je plaisante !

« VILLENEUVE ÉTAIT DANS LA SUBTILITÉ, UNE FORME DE SUGGESTION. SOLLIMA EST PLUS... DANS TA FACE ! » BENICIO DEL TORO

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Benicio Del Toro et Josh Brolin dans Sicario, la guerre des cartels

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