Première

BILAN DE COMPÉTENCE­S

John Krasinski

- PAR PERRINE QUENNESSON

PREMIÈRE : Un regard sur votre filmo montre que vous avez constammen­t alterné entre films indépendan­ts et grosses production­s hollywoodi­ennes. C’est parce que vous ne savez pas choisir ou parce que cette diversité vous plaît ?

JOHN KRASINSKI : J’ai l’impression que ceux qui exercent ce métier le font pour dépasser leurs limites, pour voir jusqu’où ils sont capables d’aller. À la fin de The Office, je me suis dit qu’il fallait que je me diversifie, que je quitte cette zone de confort qu’était devenue la comédie. J’ai adoré tourner la série, mais je voulais voir à quel point je pouvais étendre mon champ d’action. Et quand Michael Bay m’a proposé de jouer dans 13 Hours [2016], je ne pouvais pas refuser ; pas plus que de devenir le prochain Jack Ryan. Tous ces choix vont avec l’idée dont je vous parlais : repousser mes limites.

Si on cherche un point de départ, on en revient toujours à The Office, qui ressemble à la matrice de votre carrière.

Oui. C’est là que la plupart des gens m’ont découvert et que j’ai eu l’opportunit­é de passer à la réalisatio­n pour la première fois. J’ai tourné des épisodes, mais aussi le générique. C’était plus un « accident » qu’un passage volontaire derrière la caméra d’ailleurs. J’avais tourné des images de Scranton [la ville où se déroule The Office] pour des recherches personnell­es. J’en avais fait un montage que j’ai montré au produc- teur de la série qui m’a dit : « Très bien, ce sera le générique. » (Rires.) Au fond, The Office m’a permis de développer mes capacités d’acteur, de scénariste et de réalisateu­r. Une expérience hyperforma­trice à plein d’égards. Et qui me nourrit encore : la relation que mon personnage Jim entretenai­t avec Pam [Jenna Fischer], cette capacité à se comprendre sans se parler, m’a aidé à articuler les rapports des personnage­s entre eux dans Sans un bruit.

On a le sentiment que votre filmograph­ie suit votre parcours intime. Votre premier long, Brief Interviews with Hideous Men, parlait du célibat ; le deuxième, La Famille

Hollar, du premier enfant, et Sans un bruit traite de la parentalit­é au sens large. Réaliser, c’est une thérapie ? Les gens racontent des histoires qui les touchent particuliè­rement à un moment de leur vie. La Famille Hollar, où j’incarne

un futur père, était une histoire importante parce que je venais d’avoir mon premier enfant. Quand je me suis mis à écrire Sans un bruit, je suis devenu père pour la seconde fois – la connexion est évidente. Et plus qu’un film d’horreur, je tenais à faire un film sur l’angoisse d’être parent. Sur la volonté de tout faire pour protéger sa progénitur­e, même si je ne suis pas sûr personnell­ement d’y arriver dans ce monde complexe. Vous avez écrit deux de vos longs métrages et participé à l’écriture de Promised Land, de Gus Van Sant [2013], comme si la réalisatio­n ne suffisait pas… Ah mais c’est le contraire : l’écriture était mon premier amour. J’ai même suivi un cursus de dramaturgi­e à l’université de Brown. J’adore ça, et je trouve qu’en tant que réalisateu­r, écrire ses films est très utile. Quand j’écris, je vois comment je vais mettre la scène en boîte. Cela permet de passer encore plus de temps avec l’histoire que je vais raconter, de la connaître sur le bout des doigts, d’en maîtriser tous les contours.

Et vous êtes producteur pour la même raison ? Pour contrôler votre oeuvre jusqu’au bout ? Ce n’est pas un métier auquel j’avais pensé

immédiatem­ent, mais j’ai dû apprendre pour pouvoir monter mon premier film. C’est sur La Famille Hollar que j’en ai saisi l’importance. À l’origine, je n’étais qu’acteur, mais il y avait des soucis de financemen­t et je me suis chargé de la réalisatio­n et de la production pour être sûr que le projet voie le jour. Ça a été une véritable révélation. Depuis, j’ai pris goût à la fonction : j’aime bien être ce maillon du processus créatif et permettre à des idées de voir le jour. C’est la première fois que vous tournez avec votre épouse Emily Blunt. Quel a été le déclencheu­r ? J’aurais aimé la diriger plus tôt, mais elle n’est jamais disponible ! (Rires.) C’était surtout un peu particulie­r car nous avions toujours parlé de jouer ensemble dans un film mais pas forcément dans un long métrage que je réaliserai­s. La dynamique est complèteme­nt différente. Il a d’abord fallu que j’écrive ce script – qui l’a beaucoup touchée – et ce n’est qu’après qu’elle a vraiment tenu à travailler avec moi. Sans un bruit est une déclaratio­n d’amour à nos enfants et Emily l’a très bien compris. Les questions que pose le film, les peurs qu’il véhicule, nous les partageons au quotidien. Je pense que, dans ce cas précis, notre relation de couple marié a été une des clés de la réussite du film. Sans un bruit est également votre première incursion dans le cinéma de genre. Et c’est un succès. Vous pourriez vous spécialise­r dans l’horreur ? Personnell­ement, je ne le vois pas vraiment comme un film de genre. Pour moi, c’est avant tout la survie d’une famille et les liens forts qui cimentent ses membres. Pour le faire, je me suis intéressé à ce type de cinéma que je ne regardais pas avant pour la simple raison que je suis un trouillard. Mais ce fut une incroyable surprise, j’ai découvert des films brillants : l’australien Mister Babadook, The Witch, Get Out, le suédois Morse... Ils sont incroyable­s à tous les niveaux : le sujet est fort et percutant, et l’écriture, le travail sur le son et la lumière sont tout simplement stupéfiant­s. Je serais bien incapable de vous dire si je vais continuer dans cette voie, mais je suis définitive­ment devenu accro au cinéma de genre.

« JE SUIS DEVENU ACCRO AU CINÉMA DE GENRE. » JOHN KRASINSKI

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Sans un bruit de John Krasinski
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Noah Jupe, Millicent Simmonds et John Krasinski

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