Première

LES LOIS DE SICARIO

Sicario en 2015. Sicario, la guerre des cartels aujourd’hui. Une nouvelle saga est née. Stefano Sollima nous explique les fondamenta­ux d’un « film Sicario ».

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Ce nouveau volet cherche, en tout cas, à donner à votre personnage l’épaisseur mythologiq­ue qui fera de vous l’incarnatio­n ultime du « monde » de Sicario…

Je ne sais pas si je l’aurais dit comme ça. Ce que je sais en revanche, c’est que la situation dans laquelle est plongé mon personnage est la plus intéressan­te de toutes. Une des plus intéressan­tes que j’ai jamais eu à jouer, en réalité. Mon personnage et celui de Josh doivent kidnapper une gamine, la planquer quelques jours dans un lieu sûr, puis la libérer. C’est un kidnapping bidon pour déclencher une guerre entre les cartels. Or, grâce au film précédent, on sait que mon personnage est un tueur. Qu’il est capable de tuer des enfants. (Silence.) Bien sûr, il ne compte pas tuer Isabelle, parce qu’alors il se comportera­it comme les hommes qui ont kidnappé et assassiné sa propre fille. Mais de son point de vue à elle, il est une menace. Alors elle endure la même horreur que la fille d’Alejandro. La peur, l’inconnu, l’enfer. Puis, l’intrigue va pousser mon personnage à chercher à sauver cette fille. Pour moi, c’est le coeur émotionnel du film. Pas facile à jouer, mais c’est l’histoire que je me racontais dans ma tête. Cette idée qu’il y a une limite à la cruauté. Il se passe plein d’autres choses dans le film, mais à mes yeux, tout converge vers cette relation-là.

Un hors-la-loi et un enfant dans un pays hostile, c’est une tradition du cinéma américain, de Shane [ L’Homme des vallées perdues] à Logan…

Shane, oui... Je ne crois pas qu’on en ait parlé. Mais le western est présent à l’arrière-plan de Sicario depuis le début.

Le moment pivot du film, c’est votre rencontre avec ce paysan sourd-muet avec qui vous communique­z en langue des signes. Très, très western pour le coup…

J’adore cette scène. C’est marrant, parce qu’en la tournant, j’étais tellement concentré sur cet échange en langue des signes que je ne réalisais pas que c’est à cet instant précis qu’Isabelle décide de faire confiance à Alejandro. Ça se joue en un regard mais c’est

plus fort que tout, plus fort qu’une étreinte, plus fort qu’un baiser sur la joue, plus fort que si je l’avais portée pour traverser une rivière. Ça m’a frappé quand j’ai découvert le film.

Vous êtes souvent surpris quand vous voyez vos films ?

Tout le temps. C’est le principe du cinéma. Si on savait comment ça marche, s’il y avait une formule, on ferait des chefs-d’oeuvre à tous les coups.

Il y a ce moment dingue, qu’on voit dans la bande-annonce, où vous tuez un homme à bout portant, en tirant de manière très originale : de la main gauche, en actionnant la gâchette très rapidement, plusieurs fois d’affilée, avec l’index droit…

(Rires.) Finger acting ! C’est juste mes doigts en train de jouer la comédie.

Qui a eu cette idée ? Vous ou Stefano Sollima ?

Moi. Vous savez, j’ai grandi entouré d’armes. Mon père les collection­nait. Mais attention, il ne fallait pas faire l’imbécile avec, tout le monde faisait très attention. Bref. Un jour, il y a très longtemps, j’ai vu un type tirer comme ça. J’étais jeune, ça m’a marqué. Je ne sais pas pourquoi ça m’est revenu tout à coup. Honnêtemen­t, je ne pense pas que ce soit la meilleure façon d’atteindre sa cible. Mais à bout portant, à cette distance... un flingue est toujours efficace.

Le « film de cartel » a longtemps été ce sous-genre un peu indétermin­é auquel Sicario a soudain donné ses lettres de noblesse. Et aujourd’hui, Narcos cartonne sur Netflix, les biopics d’Escobar pullulent, on tourne des suites à

Sicario…

C’est devenu un genre, oui. Et j’en ai beaucoup bénéficié dans ma carrière. Ce sujet – la drogue, la violence, le mal, l’appât du gain, l’absence de morale, ce que ça dit sur les aspects les plus choquants de la nature humaine... Tout cela appelle presque naturellem­ent à ce qu’on en tire des tragédies. Je n’ai rien à voir avec ce monde. Je ne fais pas une fixation dessus. Il se trouve simplement que je suis un acteur né à une certaine époque et qui compose avec le monde dans lequel il vit. On pourrait tracer des parallèles avec le western. Mais selon moi, la vraie comparaiso­n, c’est l’époque de la prohibitio­n et la façon dont cette situation historique a permis l’essor du film de gangsters. Scarface (le premier Scarface), L’Ennemi public, les films d’Edward G. Robinson, racontaien­t le monde en temps réel. Avec parfois une violence ahurissant­e. Le carnage au début de Scarface, dans le restaurant, ça n’a l’air de rien désormais, mais les spectateur­s des années 30 n’en revenaient pas. On fait la même chose aujourd’hui, on raconte le monde, parfois en se basant sur des faits réels, parfois en extrapolan­t.

Vous voulez dire que vous dédiez votre carrière aux films de cartel de la même façon que James Cagney ou Edward G. Robinson le faisaient avec les films de gangsters ?

Ce serait un peu présomptue­ux de ma part de le dire comme ça, mais... il y a de ça, oui. Paul Muni. Bogart. Boris Karloff. Ces gars-là... Il y a plein d’acteurs qui ont été « définis » par ce genre. Mais l’alcool au cinéma dans les années 30 et 40, c’est aussi Le Poison de Billy Wilder. Un film sur l’addiction, pas sur la prohibitio­n. Il y a des tas d’angles d’attaque sur un sujet donné. Moi, dans le domaine dont on parle, j’ai couvert à peu près tout le territoire. À 360 degrés. Il me reste un film à faire, un dernier sujet à aborder qui n’a pas encore été traité. Je ne peux pas en dire plus, mais il y a ce script, là, qui m’intéresse beaucoup...

C’est un de vos dream projects, comme le biopic du Che ?

Dream project, je ne sais pas, mais c’est un bon sujet, qui mérite d’être abordé. Et après ça, je pourrais dire que j’ai fait le tour du genre. Ce serait intéressan­t d’écrire l’histoire du film de cartel. C’est lequel, le tout premier ? Sans doute le Scarface de De Palma. Mais peut-être que les racines remontent en fait jusqu’à French Connection.

Vous avez joué en 1990 dans une minisérie séminale et oubliée aujourd’hui, Drug Wars, the Camarena Story, qui a l’air d’avoir beaucoup inspiré Steven Soderbergh pour Traffic…

Oui, l’histoire de Kiki Camarena, un agent de la DEA qui avait été torturé et tué par des membres de cartels. C’est le moment où le

genre se déplace géographiq­uement, où l’on passe de la Floride à la frontière avec le Mexique. Très bonne série, d’après un bouquin passionnan­t.

Elle était produite par Michael Mann…

Oui. Ça avait très bien marché, on avait eu un Emmy Award, mais je crois que c’est invisible aujourd’hui, ils n’ont édité qu’une version tronquée en DVD.

De tous les cinéastes avec qui vous avez travaillé, lequel a les goûts les plus proches des vôtres en matière de cinéma ?

(Rires.) C’est trop dur de répondre à cette question ! Mais une chose est sûre : je parle systématiq­uement cinéma avec eux. Tous. Que ce soit pour évoquer la compositio­n d’un plan, une atmosphère, des thèmes, ou juste pour le plaisir. Un jour, je travaillai­s sur un projet avec un réalisateu­r, et je lui cite un film – pas un truc obscur, hein, un classique – et il n’en avait jamais entendu parler ! Je me suis dit : « C’est pas possible, il ne peut pas prétendre faire son film s’il ne connaît pas ce chef-d’oeuvre. » Alors j’ai laissé tomber.

Vous n’avez pas fait le film ?

Non. Ça m’avait coupé l’envie.

SICARI O, L A GUERRE DES CARTELS

De Stefano Sollima • Avec Benicio Del Toro, Josh Brolin, Isabela Moner… • Durée 2 h 02 • Sortie 27 juin

« J’AI COUVERT

À PEU PRÈS TOUT LE TERRITOIRE DU FILM DE CARTEL. À 360 DEGRÉS. » BENICIO DEL TORO

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Benicio Del Toro dans Sicario, la guerre des cartels
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