Première

UNDER THE SILVER LAKE ON VOUDRAIT TRAVERSER L’ÉCRAN POUR SE LOVER À L’INTÉRIEUR DU FILM

- u FRÉDÉRIC FOUBERT

Un privé amateur mène l’enquête dans un Los Angeles labyrinthi­que. Mieux qu’un énième L.A. noir, le dernier des L.A. noirs. David Robert Mitchell enterre le genre dans un film mausolée enivrant.

En stricts termes géographiq­ues, Silver Lake est un quartier branché de l’est de Los Angeles, sis entre Echo Park et Los Feliz, tenant son nom du grand réservoir d’eau bâti en son centre. En termes cinéphiliq­ues, pour y aller, c’est très simple. Vous descendez Mulholland Drive, prenez à gauche sur Sunset Boulevard, débouchez sur Chinatown, continuez tout droit sur la voie express Raymond Chandler. Quelques mètres après le rond-point Inherent Vice, faites bien attention d’éviter l’impasse Southland Tales, et vous voici arrivé. Le tout En quatrième vitesse, bien sûr. L’intrigue d’Under the Silver Lake est un dédale mais le film lui-même s’envisage comme la porte de sortie d’un grand labyrinthe cinéphile, le point final d’une longue tradition de polars angelenos qui ont tous contribué à construire le mythe de la ville cinéma, ce mirage bâti sur des images et des mensonges. Trois ans après le Inherent Vice de Paul Thomas Anderson (qui rejouait Le Privé de Robert Altman, lui-même un hommage au Grand Sommeil), on peut légitimeme­nt se demander si on avait besoin d’une nouvelle variation sur le genre. Sauf que David Robert Mitchell ne veut pas réaliser un L.A. noir de plus : il cherche clairement à en signer le dernier spécimen, son tombeau, son épilogue/épitaphe. C’est ainsi qu’il faut comprendre l’atmosphère morbide, quasi putride, du film, fléché par les masques mortuaires, les statues de cire, les tombes, les cimetières, les cadavres, les posters et sculptures de stars suicidées (Kurt Cobain) ou fauchées en pleine gloire (James Dean)... L’enveloppe est soyeuse, attrayante, irrésistib­le, on voudrait lécher chaque photogramm­e comme un bonbon acidulé, traverser l’écran pour se lover à l’intérieur du film, pourtant, tout ici empeste la mort, le stade terminal, la fin des temps. Truffé de références, de posters, d’extraits de films, surconscie­nt de sa place dans l’histoire du cinéma, Under the Silver Lake entend réfléchir à la dimension vampirique de la pop culture contempora­ine, ce monstre qui recycle à l’infini ses production­s comme une bête délirante dévorerait ses entrailles. C’est un peu l’équivalent somnambuli­que et tripant du Ready Player One de Spielberg, avec la Cité des anges dans le rôle de l’Oasis.

L’OMBRE DE MANSON.

Andrew Garfield (génial, comme d’habitude) y campe Sam, un simili hipster de 33 ans en voie de clochardis­ation avancée, qui passe son temps à glander en épiant ses voisins, comme dans un bon vieux Hitchcock ou De Palma des familles. Les fêtes sur les rooftops rythment la vie de la petite communauté de Silver Lake. On fait mine de s’amuser, pourtant, la parano n’arrête pas de grimper depuis qu’un tueur de chiens sévit dans le quartier. L’ombre de Charles Manson, manifestem­ent, n’a jamais cessé de planer sur L.A... La disparitio­n d’une blonde sexy qu’il connaît à peine ( Riley Keough) va entraîner Sam dans une sale affaire, le contraigna­nt à chercher des symboles cachés dans toutes les production­s pop qui lui tombent sous la main – les chansons, les images, les différents messages envoyés par l’industrie du rêve (et du cauchemar). Sam est une figure en grande partie pathétique, un jeune homme brillant qui a décidé de ne plus rien faire de ses journées, un ado attardé estimant que la vie n’a pas tenu les promesses qu’elle lui avait faites. Il vit à quelques mètres d’un monde hautement

désirable, mais reste toujours à l’écart, en marge, empêché et impuissant.

CRISE IDENTITAIR­E. Le film poursuit la réflexion de David Robert Mitchell sur l’adolescenc­e vécue comme une malédictio­n, un état dont on ne peut s’extirper qu’au prix de contorsion­s incroyable­s, de très violentes douleurs. The Myth of the American Sleepover (son premier long, 2010) racontait la dernière pyjama party avant l’entrée dans l’âge adulte. It Follows (son premier hit, 2014), la peur panique du sexe et du dépucelage. Under the Silver Lake fait un bond dans le temps et reprend les choses un peu après, quand l’adolescenc­e n’est déjà plus qu’un lointain souvenir et que ses utopies se sont fracassées contre le mur du réel. Le cinéaste relie la crise identitair­e de son héros à une sorte de malaise civilisati­onnel, ce moment qui nous occupe aujourd’hui, où la pop culture semble avoir perdu son rôle de phare pour devenir un océan terrifiant, mutique et absurde, qui menace de tout engloutir à chaque instant. Comment survivre ? Comment garder la tête hors de l’eau, hors du lac d’argent ? Le film n’a pas la réponse mais a le mérite de formuler l’interrogat­ion avec une ampleur conquérant­e, superbemen­t crâneuse. Il y a bien sûr une prétention hallucinan­te à vouloir s’imposer comme le dernier film noir tourné sous le soleil de Los Angeles. Il y en aura d’autres, évidemment. Mais le suivant ne pourra pas faire comme si celui- ci n’avait pas existé. Quelle direction emprunter après Silver Lake ? Si on se pose la question, c’est que David Robert Mitchell a gagné son pari.

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Andrew Garfield
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ANDREW GARFIELD FILMO EXPRESS TheSocialN­etwork (2010) TheAmazing­Spider-Man (2012) Silence (2017)
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