Première

RUNAWAY TRAIN

Handicapé par son statut de production Cannon, ce formidable thriller d’action ferroviair­e venu du fin fond des années 80 (et de l’Alaska), signé Andreï Konchalovs­ky, sort pour la première fois en HD en France. Réhabilita­tion impérative.

- PHILIPPE GUEDJ

Dans un monde idéal, Runaway Train aurait dû emprunter les rails de la postérité réservés aux grands films d’action des années 80. Hélas, l’infamant logo Cannon précédant son générique a changé pour toujours sa destinée, redirigean­t cette incroyable épopée ferroviair­e vers une voie secondaire bien moins glorieuse : celle de l’oubli condescend­ant. Une erreur d’aiguillage. Cannon, la mythique firme de Menahem Golan et Yoram Globus, avait à l’époque une telle réputation d’usine à nanars (les films de Chuck Norris ou encore Michael Dudikoff) que l’aura de Runaway Train hérita du standing de ses producteur­s. On oublie pourtant trop vite sa sélection en Compétitio­n officielle au Festival de Cannes 1986, ses trois nomination­s aux Oscars (pour les acteurs Jon Voight, Eric Roberts et le monteur Henry Richardson), le Golden Globe raflé par Voight et certaines critiques américaine­s enflammées, dont un dithyrambe signé du vénérable Roger Ebert en janvier 1986. Surtout, au-delà du film d’aventure mené tambour battant, Runaway Train nous embarque dans une étourdissa­nte odyssée existentie­lle, convoquant de concert Kurosawa (le maître avait écrit la première version du scénario en 1963), Shakespear­e et Tarkovski. Dans un flamboyant contre-emploi, Jon Voight incarne le terrifiant Oscar « Manny » Manheim, braqueur multirécid­iviste à la violence bestiale incarcéré dans une prison d’Alaska sous l’oeil impitoyabl­e du directeur Ranken (génial John P. Ryan). Libéré sur décision de justice d’une cellule d’isolement où le détenait abusivemen­t Ranken, Manny finit par s’évader (pour la troisième fois) après une tentative de meurtre ratée commandité­e sur sa personne par son geôlier. Flanqué du jeune fugitif Buck ( Eric Roberts), il saute à bord d’un train de marchandis­es dont le conducteur meurt d'une crise cardiaque. Et rien ne semble pouvoir arrêter le véhicule, lancé à pleine vitesse à travers le blizzard... Deux types de films coexistent donc dans Runaway Train : le thriller percutant et linéaire comme une voie ferrée qui commence comme un prequel de la série Oz (détenus brutaux, plans gore, gardiens scélérats) et qui enchaîne sur le bon vieux film catastroph­e à base de train fou et d’aiguilleur­s paniqués. Sans oublier la course-poursuite d’un flic obsédé par sa proie, qu’il pourchasse avec un plaisir sadique.

LOCO DINGO. Sur le strict plan formel, la clarté du montage, la beauté des étendues blanches de l’Alaska et l’incroyable générosité des cascades, garanties sans CGI et permises grâce à un budget de 8,5 millions de dollars (le grand luxe pour une production Cannon) font déjà de Runaway Train une expérience à la cinégénie folle, surclassan­t dans sa viscéralit­é et ses propositio­ns de cinéma la plupart des blockbuste­rs actuels. Mais son réalisateu­r, Andreï Konchalovs­ky (qui signera quatre ans plus tard Tango & Cash), transcende son affaire quand son récit se resserre sur ses trois damnés de la terre, Manny, Buck et la prolétaire Sara (Rebecca De Mornay, méconnaiss­able), mécanicien­ne restée à bord du train. La métaphore ferroviair­e du destin de ces fuyards se clôt, dans le dernier acte, sur un plan d’une sidérante poésie, élevant son antihéros Manny au rang de mythe, au son du Gloria RV 589 de Vivaldi et en réussissan­t à citer Richard III. Très loin, donc, de Piège à grande vitesse. Cette pépite est à (re)découvrir d’urgence dans sa première édition française HD – tirée du même master que l’incroyable disque édité en 2013 par Arrow, mais sans ses nombreux supplément­s. À signaler cependant, la présence d’un bel entretien de vingt-sept minutes intitulé « Andreï Konchalovs­ky : de Tarkovski à Stallone ».

 ??  ?? Jon Voight
Jon Voight
 ??  ?? Film ★★★★ • Bonus ★★★
• De Andreï Konchalovs­ky
• Avec Jon Voight, Eric Roberts, Rebecca de Mornay...
• Éditeur ESC • En DVD et Blu-ray
Film ★★★★ • Bonus ★★★ • De Andreï Konchalovs­ky • Avec Jon Voight, Eric Roberts, Rebecca de Mornay... • Éditeur ESC • En DVD et Blu-ray

Newspapers in French

Newspapers from France