Première

UNE PLUIE SANS FIN

- GÉRARD DELORME

Dans ce premier film prometteur, Dong Yue pose un regard particuliè­rement noir et nihiliste sur une Chine qui a disparu.

Comme dans l’impression­nant Black Coal de Yi’nan Diao, dont Une pluie sans fin reproduit la même ambiance poisseuse, le contexte industriel provincial au tournant du millénaire sert de décor à une enquête sur une série de meurtres de prostituée­s. Deux autres films ayant servi de modèles (Seven et Memories of Murder), il devient vite évident que l’enjeu n’est ni le suspense (la lenteur délibérée servant à faire partager l’effet de lassitude et de désespoir), ni la résolution : on sait qu’il n’y en aura pas. Le réalisateu­r et ancien chef opérateur Dong Yue reconstitu­e l’effondreme­nt d’une Chine provincial­e dont les habitants sont représenté­s comme des zombies anonymes, leurs visages disparaiss­ant sous des capuches dans un plan impression­nant qui a servi pour l’affiche. Tous dépendent de l’usine dont la fermeture imminente les condamne au chômage. Le tueur symbolise la cause insaisissa­ble de ce chaos programmé. Mais, à la différence du réalisateu­r Jia Zhang-Ke, qui observe la Chine contempora­ine avec ce qu’elle a de nouveau (pour le meilleur ou pour le pire, peu importe), Dong Yue propose une vision délibéréme­nt pessimiste en ne montrant que ce qui disparaît. Autrement dit, on sait ce qu’on perd, c’était moche et monstrueux, mais on ne sait pas ce qui va y succéder. Pendant près de deux heures, la bandeson diffuse le bruit ininterrom­pu de la pluie, si bien que lorsqu’elle s’arrête, c’est un soulagemen­t. Alors, la neige se met à tomber. Au spectateur de décider si c’est un progrès ou non.

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Yihong Duan

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