Première

SÉLECTION SÉRIES

Un magnat des médias s’apprête à prendre sa retraite pendant que ses enfants s’écharpent pour désigner son successeur. Au menu : luttes de pouvoir, trahisons et coups de théâtre. Grandiose.

- FRANÇOIS LÉGER

Succession ; Au service de la France – Saison 2 ; Picnic at Hanging Rock ; Chasseurs de trolls – Les Contes d’Arcadia

En 2010, le scénariste britanniqu­e Jesse Armstrong est au coeur de l’attention du petit milieu hollywoodi­en : son script, Murdoch, vient d’apparaître sur la Black List, qui regroupe les meilleurs scénarios de films n’ayant pas encore trouvé preneur. Ce long métrage autour de Rupert Murdoch et de sa succession à la tête de l’entreprise familiale reste finalement dans les limbes, mais Armstrong garde précieusem­ent l’idée dans un coin de sa tête, alors qu’il change de registre en écrivant la série Fresh Meat pour la télévision anglaise. 2018 : il revient en tant que showrunner de Succession, une production HBO cofinancée par Adam McKay (The Big Short) et Will Ferrell, officielle­ment sans rapport avec son précédent projet. L’histoire des Roy, richissime famille new-yorkaise assise sur un empire médiatique de plusieurs milliards de dollars : Logan (Brian Cox), patriarche sur le déclin qui commence à perdre la boule, semble sur le point de prendre sa retraite et de léguer l’oeuvre de sa vie à son fils Kendall (Jeremy Strong). Son brutal changement d’avis, le jour de ses 80 ans, va engendrer une lutte intestine entre les quatre enfants Roy et leur belle-mère (Hiam Abbass), à qui Logan souhaite offrir une bonne partie du contrôle du congloméra­t. Difficile de ne pas faire le lien avec Murdoch, à qui Succession emprunte sa trame de départ tout en la délocalisa­nt sur le terrain fictionnel. « Le personnage de Logan est un mélange des traits de personnali­té de magnats comme Murdoch, Sumner Redstone, Robert Maxwell ou Conrad Black. Ce qui m’offre bien plus de libertés qu’avec un biopic traditionn­el », confie Jesse Armstrong. Une relecture du Roi Lear, avec « des mômes nés dans une opulence inimaginab­le, qui se déchirent parce qu’on leur a toujours inculqué que rien n’est plus important que d’être à la tête de l’entreprise ».

GUERRE CIVILE. Spécialist­e de la satire politique mordante (The Thick of It, In the Loop, We Are Four Lions...), Jesse Armstrong fait carburer sa série à coups de duperies et de dialogues acides, regardant ce petit cirque d’aussi près que possible avant de dézoomer subitement pour en dévoiler toute la futilité. Succession ausculte au passage la grandeur perdue de l’ancien monde qui baise les pieds du nouveau (la télévision et le cinéma face à Internet) et le pouvoir sous toutes ses facettes (qu’il soit hérité, perdu, retrouvé, donné, envié ou volé) : « Ce qui me fascine dans les histoires de succession­s, c’est justement que le pouvoir se montre dans sa forme la plus brute. On a mis en place tout un tas de règles et de protocoles censés adoucir la chose, la rendre naturelle et inévitable. Des foutaises : en réalité, à ce momentlà, il n’existe plus rien d’autre que le pouvoir. Et c’est terrifiant. Dans ce cas précis, c’est carrément une guerre civile à l’échelle d’une famille. » Alliances éphémères, coups bas et avidité rythment une saison à mi-chemin entre pur thriller et comédie noire, qui dézingue les 1 % les plus riches du monde avec des saillies comiques au timing chirurgica­l. Et si Succession ne réinvente pas la roue – sa mécanique est parfois un peu trop convenue –, le show tient fièrement sa position d’enfant légitime des meilleures séries HBO des vingt dernières années, des Soprano à Deadwood en passant par Six Feet Under.

À MI-CHEMIN ENTRE PUR THRILLER ET COMÉDIE NOIRE, LA SÉRIE DÉZINGUE LES 1 % LES PLUS RICHES DU MONDE

PRÊTS À TOUT. Une sorte de best of haut de gamme dans lequel Adam McKay (derrière la caméra pour le pilote) retrouve la grammaire visuelle racée de The Big Short, filmant les joutes verbales et les négociatio­ns comme un match de boxe qui se termine forcément par un KO. Une passionnan­te autopsie de famille dysfonctio­nnelle, chez qui le moindre moment de faiblesse est synonyme de mort sociale. « C’est un autre univers que le nôtre, analyse le showrunner. Ces gens sont prêts à tout pour monter dans la pyramide. Donc il faut sortir vainqueur de chaque discussion, même la plus minime. J’aime les histoires intimes, qui touchent aux relations humaines. Dans l’absolu, je pourrais très bien avoir écrit la même chose sur des enfants qui se déchirent pour savoir qui reprendra le bar ou l’usine de saucisses du paternel, mais je tenais à ce que les enjeux soient bien plus importants : celui qui gagnera pourra affecter la politique et la culture à l’échelle internatio­nale. » Casting parfait – le trio Jeremy Strong, Kieran Culkin et Brian Cox en tête –, écriture pointue, ambitions formelles bluffantes : le rififi chez les maîtres du monde aura rarement été aussi passionnan­t à suivre.

REGARDEZ SI VOUS AVEZ AIMÉ SixFeetUnd­er (2001), LaMortdeSt­aline (2018), VeryBadCop­s (2010)

Pays USA • Créée par Jesse Armstrong

• Avec Brian Cox, Jeremy Strong, Kieran Culkin… • Nombre d’épisodes vus 7 • Sur OCS

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De gauche à droite : Kieran Culkin (de profil), Alan Ruck, Nicholas Brown et Sarah Snook
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BRIAN COX FILMO EXPRESS LeSixièmeS­ens (1986) LaMémoired­anslapeau (2002) L.I.E.LongIsland­Expressway (2003)
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