Première

BILAN DE COMPÉTENCE­S

De retour en France et au cinéma après l’expérience américaine sur la série The Looming Tower, Tahar Rahim joue Abel, l’« homme fatal » qui entraîne Stacy Martin dans l’addiction aux jeux de l’amour, du hasard et du film noir dans Joueurs de Marie Monge.

- u PAR LÉONARD HADDAD

Tahar Rahim

PREMIÈRE : Joueurs, c’est Le Père Noël, votre film de 2014, pour les adultes ? TAHAR RAHIM : (Rires.) En effet, il y a une petite bosse sur le nez en commun... Cette réinventio­n par le maquillage, ça change quoi ?

Il faut que ça ait un sens vis-à-vis du rôle. Là, on peut s’imaginer que le type s’est pris un coup de tête dans son enfance et qu’il a laissé les choses se remettre en place toutes seules. Pareil avec les petites brûlures, les cicatrices au visage. Il ne prend pas soin de lui. Par son visage, on raconte un passé, sans avoir besoin des mots. Cela me nourrit énormément, entre le moment où j’arrive au maquillage et celui où j’en sors. Ça facilite la croyance immédiate, si vous voulez.

Cette « croyance immédiate », c’est le premier truc que vous aviez quand on vous a découvert. Mais on dirait qu’à chaque film, vous devez vous efforcer de la retrouver, alors qu’elle menace de vous filer entre les doigts.

C’est très juste. On prend des habitudes, il y a de moins en moins d’inconnu, comment rendre les choses vierges à nouveau ? C’est le perpétuel combat.

Au moment d’Un prophète, Audiard en avait conscience : cette innocence de la « première fois » qu’il venait trouver chez vous, il vous l’ôtait en même temps.

Oui. Après, tout ce que l’on peut faire, c’est essayer de retrouver cette sensation, alors qu’elle est unique, par définition. Inconsciem­ment, parler de virginité n’est pas anodin. Parce que cela rejoint bel et bien le domaine de la jouissance.

Bizarremen­t, c’est aussi le thème du film. Comme dit Marie Monge, l’addiction au jeu, à l’autre, n’est rien d’autre que la quête jamais assouvie d’une sensation de première fois.

Elle avait écrit une phrase dans ce goût-là, qui résumait autant le personnage que ce que j’ai pu traverser en tant qu’acteur : « La chance du débutant, on ne l’a qu’une fois. Et on passe sa vie à courir après. »

Vous pourriez aussi venir à chaque film avec le bagage des précédents. Beaucoup de très bons acteurs le font.

J’adore ça. Prenez John Wayne, on le voit s’étoffer à l’image de film en film, devenir un héros mythique. Mais mon éducation cinématogr­aphique vient d’ailleurs. J’ai toujours fantasmé le métier d’acteur en me disant : « Comment faire pour me transforme­r au maximum, explorer d’autres parties de moi-même ? » C’est l’essence d’un acteur.

Pourtant, même chez De Niro, Pacino, qui ont symbolisé cette idée de la transforma­tion, on finit par ne plus voir que les constantes, les gimmicks.

On est condamné à ça, il y a un épuisement inévitable. Ils ne peuvent pas non plus se réinventer pendant quatre-vingts ans ! À un moment, tu es victime de ta visibilité et le bagage, tu l’amènes malgré toi. Alors autant s’amuser le plus possible avant... Ceux que vous citez ont côtoyé un moment révolution­naire de cinéma, où il y avait toute une conjonctio­n de choses, pas seulement eux, mais aussi les rôles, les scénariste­s, la réin-

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Tahar Rahim et Stacy Martin

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