Première

La Chèvre de Francis Veber

PAR FRANCIS VEBER. Le réalisateu­r de La Chèvre explique comment Pierre Richard s’enfonce tout seul dans des sables mouvants devant un Gérard Depardieu hébété.

- PROPOS RECUEILLIS PAR CHRISTOPHE NARBONNE u ILLUSTRATI­ON GABRIEL DE LAUBIER

On verra bien

« Qu’est-ce qui pourrait arriver à un malchanceu­x dans un désert ? S’enfoncer dans les sables mouvants, tout simplement. Voilà comment est née cette scène, sur ma machine à écrire. Je ne me suis jamais demandé si elle était faisable ou pas, sachant que je ne retouche pas les dialogues ni les situations sur le tournage. Le scénariste ne pense jamais au metteur en scène. C’est tellement difficile de trouver une idée que si vous vous posez des questions, vous n’écrivez plus rien. C’est au moment où vous vous retrouvez face à l’obstacle qu’il faut essayer de passer. »

Précieuse caméra

« À cette époque, on tournait à une caméra, il fallait prendre des précaution­s. Eh bien, figurezvou­s que les Mexicains l’ont égarée pendant quatre jours ! Avec eux, c’était tout le temps “momentito” [“un moment”]. Rien n’était jamais grave, ils prenaient leur temps... Bref, pour en revenir à cette scène, j’ai simplement réalisé un plan fixe large quand Pierre descendait, puis des champs/contrecham­ps rapprochés sur lui et Gérard. La situation est tellement efficace en soi que la mise en scène se devait de la mettre en valeur. On l’a mise en boîte en une journée. »

De haut en bas

« Il fallait évidemment utiliser des effets mécaniques pour que Pierre Richard s’enfonce dans le sable. Les spécialist­es mexicains étaient ingénieux pour ce genre de truc. Ils avaient installé dans le sol une espèce de cuve avec un système de vérins, actionné à distance, qui montait et descendait électrique­ment. La cuve était remplie d’eau et à sa surface nageaient plein de morceaux de liège de la couleur du sable environnan­t. Quand Pierre descendait, le liège se reformait tout de suite autour de ses jambes. L’illusion était parfaite. »

Clown triste

« On n’imagine pas que les clowns, comme Pierre Richard, souffrent. Alors quand il descendait dans cette cuve jusqu’au cou, on avait tendance à l’oublier ! Je me souviens qu’à un moment, entre deux prises, je discutais avec les technicien­s des améliorati­ons à apporter quand soudain, j’ai entendu une petite voix dire timidement “s’il vous plaît”. Je me suis retourné en répondant assez durement “quoi ?”. “J’ai très chaud à la tête”, a murmuré Pierre qui était rouge comme une tomate... On a davantage fait attention par la suite. »

Question de bon sens

« Nous avons dû repérer un coin de désert mexicain où le sol était parfaiteme­nt nivelé de façon à ce que les deux personnage­s soient à égalité, avec l’un des deux qui descend lentement. C’est juste une question de bon sens. Dans le très mauvais remake américain [ Danger public, 1991], la réalisatri­ce, Nadia Tass, ne l’a pas compris. Elle a choisi un terrain inégal, retirant à la scène tout son potentiel de comédie. Faut-il être stupide ! »

Depardieu l’outsider

« Gérard est merveilleu­x dans cette scène. Regardez-le bien, il pleure presque, tellement il est désemparé par le personnage de Pierre. À l’époque, c’était déjà un génie total mais qui n’avait pas le niveau de notoriété de son partenaire. Il était uniquement apprécié des cinéphiles pour ses rôles chez Blier, Bertolucci, Pialat... D’ailleurs, son cachet était bien inférieur à celui de Pierre, qui a contractue­llement perçu un intéressem­ent colossal sur les bénéfices. Tout cela a évidemment été remis à plat, dès le film suivant, Les Compères. »

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