Première

GILLES LELLOUCHE « Le terme “populaire” est souvent associé à du gros truc approximat­if qui tache. »

Il a d’abord été un acteur populaire, il est devenu popu. En réalisant Le Grand Bain, dans lequel il ne joue pas, il essaie à la fois de se reconnecte­r avec lui-même et avec le public. Gilles Lellouche sort la tête de l’eau. Rencontre.

- u PAR FRANÇOIS GRELET & CHRISTOPHE NARBONNE

PREMIÈRE : On a l’impression que la question qui agite Le Grand Bain serait : comment transforme­r un film sur la dépression en film populaire ? GILLES LELLOUCHE :

Ah ? Ça tombe mal, je ne me suis jamais posé cette question. (Rires.) Je n’ai pas essayé, en tout cas, de calibrer Le Grand Bain dans ce sens, de faire d’un film sur la dépression un antidépres­seur. J’avais surtout l’envie de mélanger les genres. L’idée, c’était d’être d’abord dans l’intimité de mes personnage­s, au service d’une émotion collective donc populaire. Le problème c’est que le terme « populaire » est souvent associé à du gros truc approximat­if qui tache. On a fait du mal à ce mot. Au même titre qu’il y a de grands tubes pop légendaire­s, il y a à côté des tubes de l’été produits à la chaîne. En ce moment, on a l’impression que c’est la deuxième catégorie qui domine. Mais il y a également trop de films intimistes qui ne parlent à personne... La vérité du cinéma, de mon point de vue, est à la confluence de ces deux extrêmes.

Justement, dans le film, Mathieu Amalric illustre parfaiteme­nt la porosité entre cinéma d’auteur et populaire qui se manifeste à l’écran.

Exactement. Amalric n’avait jamais tourné avec Benoît Poelvoorde et le regardait avec des yeux d’enfant. C’était ma récompense. Le film n’a pas été conçu dans l’idée de réunir plein de grosses vedettes, mais une fois qu’Amalric et Poelvoorde, deux de mes idoles, te donnent leur accord, tu ne peux pas aller chercher des inconnus pour les entourer. Et puis les temps ont changé... On me reproche toujours de travailler avec Marion [Cotillard] et Guillaume [Canet] que j’ai connus il y a dix-huit ans, à une époque où on était tous pas grand-chose. Je n’y peux rien si les choses ont changé pour nous.

Je ne vais pas me priver de tourner avec des gens que j’aime bien ou qui font partie de ma vie. Si j’avais fait Le Grand Bain il y a vingt ans, je n’aurais pas disposé d’un allstar cast mais d’acteurs en devenir !

Le film jette un pont entre deux rives, entre culture mainstream et culture branchée. Ça se manifeste vraiment partout et notamment dans les références musicales : on y croise aussi bien Phil Collins et Julien Clerc que Jon Brion (le compositeu­r des premiers films de P. T. Anderson).

C’est ma personnali­té, je ne peux pas vous le dire autrement. J’aime McCartney, Phil Collins, Tears For Fears, Julien Clerc... Pour ce qui est de Jon Brion, j’avais économisé sur les heures supp, c’est pour ça qu’on a pu se l’offrir comme compositeu­r. (Rires.)

Après Les Infidèles, vous avez enchaîné quelques échecs et vous avez mesuré la difficulté de rester un acteur populaire.

C’est la limite du cinéma populaire qui t’oblige à un rendement. Quand tu n’es plus une cash machine imparable, on te casse.

On vous cassait certes, mais vous étiez objectivem­ent moins bon. Aviez-vous l’impression de perdre le fil ?

Oui. Je sentais que mes prestation­s n’étaient pas satisfaisa­ntes, de même que les films. Quand tu es acteur, tu t’enfermes parfois dans de mauvais choix, l’envie de tourner avec tel réalisateu­r, tel partenaire, etc. Beaucoup de films, beaucoup d’exposition, c’est un cercle vicieux... Je dis toujours du succès qu’il est un ennemi. La fainéantis­e vous guette, vous allez vers des choses trop évidentes. Je pense aussi qu’à un moment donné, on a voulu m’en mettre plein la gueule. Il fallait que je mange et c’est tant mieux, sinon je serais peut-être toujours en train de faire la sieste.

Revenir à la mise en scène correspond­ait-il à l’idée de remettre à plat votre image d’acteur, de passer un coup d’ardoise magique ?

J’ai commencé à écrire Le Grand Bain avant cette période « tumultueus­e », mais avec le désir profond d’exprimer mon goût pour le cinéma, de ne pas être un simple passeur de plats. J’avais le sentiment d’être dans un malentendu permanent, d’être à côté de moi.

Quel genre de malentendu ?

Le côté beauf, grande gueule, suffisant que je n’ai jamais été, me semble-t-il.

Vous comprenez néanmoins que

Les Infidèles, films à sketches que vous chapeautie­z avec Dujardin, a pu donner une image déplaisant­e de vous, ce qui n’est pas le cas du Grand Bain ?

On était dix à bosser sur Les Infidèles, qui était une satire à l’italienne. Ce n’était ni un film sur Jean ni sur moi. Le malentendu a été énorme, lié au timing de la sortie qui n’était peut-être pas le bon pour nous deux. Il a été vu comme un film misogyne alors qu’il était pensé précisémen­t à l’inverse. On s’autoflagel­lait déjà, ce n’était pas la peine d’en remettre une couche.

Si vous vous autoflagel­liez, c’est bien que c’était personnel, voire narcissiqu­e, non ? Rien à voir avec la comédie à l’italienne du coup.

On se moque de nous-mêmes dans l’intro et dans la conclusion. Plus précisémen­t de l’idée que les gens avaient de nous, des types qui font la fête avec des filles, etc. Mais le film est plus globalemen­t une satire violente des hommes. Que ça ne soit pas toujours très fin, je l’entends, mais qu’on nous y assimile, on ne l’avait pas vu venir.

Vous ne jouez pas dans Le Grand Bain. Cela s’inscrit-il dans cette logique de prise de recul ?

Ça m’a caressé l’esprit d’y figurer, j’avoue. Comme j’ai écrit tous les dialogues, je me suis joué tous les personnage­s. J’aurais bien interprété celui de Poelvoorde et, plus bizarremen­t, celui de Katerine. Finalement, j’ai décidé de ne pas le faire car la réalisatio­n me passionne depuis toujours. Ce n’est pas une posture. Je voulais me consacrer totalement au film, à mes cadres, à la direction d’acteurs. M’entraîner comme eux pendant cinq mois pour un rôle, ce n’était pas possible. Ce n’est presque pas le même métier.

Le fait que le film se retrouve au Festival de Cannes, ça venait valider, avant même sa sortie, son positionne­ment de comédie hybride à la fois populaire et d’auteur ?

Un peu oui. C’était flatteur qu’ils nous prennent. Très flatteur. « On a tous besoin d’une médaille » comme dit Virginie Efira dans le film.

LE GRAND BAIN

De Gilles Lellouche • Avec Benoît Poelvoorde, Mathieu Amalric, Guillaume Canet…

• Durée 2 h 02 • Sortie 24 octobre • Critique page 110

« QUAND TU N’ES PLUS UNE CASH MACHINE IMPARABLE, ON TE CASSE. » GILLES LELLOUCHE

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