Première

SHUT UP AND PLAY THE PIANO

Retraçant la carrière détonante de Chilly Gonzales, Shut Up and Play the Piano apporte sa pierre à la légende du « génie musical » canadien.

- MICHAËL PATIN

« Je veux être aimé et haï à parts égales », clamait Chilly Gonzales dans Take Me to Broadway en 2002. Une déclaratio­n identique sert d’ouverture à ce documentai­re, manière d’épouser le point de vue de l’énergumène canadien, qui n’a jamais eu besoin de caméras pour mettre en scène ses paradoxes. À la fois « génie musical » et « supervilla­in » autoprocla­mé, pianiste de formation classique et bête de scène obsédée par le rap, il n’a cessé de brouiller les frontières entre musiques nobles et populaires, spectacle et intimité, interrogea­nt à travers son alter ego (maniaque) la notion même de rôle. Ce qui en faisait un (anti)héros tout cuit pour le cinéma. Philipp Jedicke aligne les témoins clés pour restituer la logique d’une carrière versatile, qui l’a vu passer de la scène pop de Toronto (échec vécu comme épisode fondateur) à l’undergroun­d berlinois (sa période rap et provoc), et d’une retraite parisienne (succès de l’album Solo Piano) aux salons de Cologne (il y compose pour un quatuor à cordes). Si le film succombe à quelques sirènes psy, s’arrêtant sur sa relation compétitiv­e avec son frère, il n’est jamais plus juste que quand il devient lui-même performati­f, dans ces séquences où des anonymes sont invités à « jouer » Chilly Gonzales. Lui se dit prêt à passer le relais afin que son personnage puisse lui survivre. Soit le rêve de tout acteur et l’idée maîtresse de Shut Up, documentai­re cannibalis­é par son sujet (c’est presque un autoportra­it) où l’accès au réel est une manière comme une autre – mais pas la moins efficace – de perpétuer la fiction.

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