Première

LE GRAND BAL

Laetitia Carton transforme un docu sur les danses folkloriqu­es en grand film populaire habité par l’époque. Un tour de force ontologiqu­e et sensoriel.

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« Le cinéma est une allégorie de nos vies, et nos vies sont ellesmêmes du cinéma », nous dit Laetitia Carton dans l’entretien qu’elle nous a accordé [lire page 26]. C’est exactement le sentiment qui nous habitait quand on a découvert Le Grand Bal à Cannes. Tout à coup, des préoccupat­ions qui semblaient à l’opposé des nôtres – quoi de plus éloigné du glamour de la Croisette que les danses traditionn­elles ? – devenaient des métaphores actives de nos expérience­s festivaliè­res – la quête de l’air du temps, l’addiction à l’extase, la ritualité et l’épuisement. En le revoyant au calme, on ne peut qu’admirer sa capacité d’infiltrati­on, qui élève ce documentai­re sur le Grand Bal de l’Europe (un festival de danse qui se tient à Gennetines dans l’Allier depuis presque trente ans) à l’état de grand film populaire à portée universell­e. Une charge sensoriell­e, poétique et philosophi­que (la voix off de l’auteure, fil rouge nouant le personnel au collectif, la passion à la pensée), qui invente des manières inédites de filmer les corps en mouvement, portée par une caméra fluide et apparemmen­t invisible, aussi à l’aise au coeur de l’action que dans les zones transitoir­es où les langues se délient et les impensés se dévoilent. Le rapport intime que Laetitia Carton entretient avec le bal lui permet d’en faire matière à cinéma, et son cinéma fait à son tour entrer le bal dans nos vies. Ces gens qui tournent du point du jour au bout de la nuit, c’est nous, cinéphiles de toutes confession­s, toujours à la recherche d’émotions fortes et d’élévation spirituell­e. On peut faire nôtre cette autre certitude de la réalisatri­ce : « Il existe un autre monde et il est déjà contenu dans celui-ci. »

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