Première

LE BUREAU DES LÉGENDES – SAISON 4

La série française d’espionnage investit de nouveaux terrains géopolitiq­ues avec une inspiratio­n inchangée. Et fait souffler sur les ruines du monde une mélancolie étrangemen­t régénérant­e.

- DAMIEN LEBLANC

Comment rebondir après trois saisons d’exception ? Comment éviter de s’enfermer dans le confort et la facilité, risque majeur que rencontren­t nombre de séries à succès ? Telles sont les questions que se posaient spectateur­s et auteurs du Bureau des légendes après une saison 3 qui fermait la porte à plusieurs personnage­s et bouclait magistrale­ment une trilogie centrée autour de l’histoire d’amour maudite entre le traître de la DGSE, Malotru, et l’intellectu­elle syrienne, Nadia El Mansour. Après une attente légèrement plus longue qu’à l’accoutumée, la saison 4 répond d’entrée de jeu à ces interrogat­ions en faisant souffler sur la série un vent nouveau et en gérant à merveille l’héritage laissé par les trente épisodes précédents.

Éric Rochant et ses auteurs ont en effet décidé d’ouvrir de nouveaux fronts géopolitiq­ues et de démultipli­er les façons de les aborder. En concentran­t notamment à Moscou des intrigues à la puissante charge dramatique, la série tire profit des ruines sentimenta­les qu’elle a inscrites dans les coeurs des personnage­s au fil des saisons. Les décombres sont aussi ceux de la guerre en Syrie, qui touche à sa fin et que les services de renseignem­ent continuent à traiter en se penchant sur le recyclage des djihadiste­s français. Concernant les traces léguées par le passé, cette saison a surtout la bonne idée de jeter une lumière inédite sur les agissement­s récents du Bureau des légendes, départemen­t qui ressemblai­t jusqu’ici à un sanctuaire inviolable. Le nouveau venu, JJA (Mathieu Amalric, intense), demande ainsi des comptes et souhaite comprendre les dysfonctio­nnements dont a fait preuve « le plus secret des services secrets » dans sa gestion de l’affaire Malotru. En évaluant de la sorte les décisions prises ces dernières années par l’équipe du BDL, la série porte un stimulant regard sur elle-même. Sisteron, Ellenstein et les autres ne vivent-ils pas depuis l’origine dans le déni et l’aveuglemen­t ? Cette mise à nu fragilise Marie-Jeanne (Florence Loiret- Caille), nouvelle directrice du service, historique­ment attachée au facteur humain et à l’importance de l’empathie. Cette question de savoir si la dimension humaine a encore sa place dans la pratique du renseignem­ent fait fortement écho à un autre champ investi par la saison 4, celui du cyber et de l’intelligen­ce artificiel­le. Ce nouveau domaine pourrait tout avoir de l’entité froide et désincarné­e, mais la série réussit à intégrer cette thématique à son subtil univers romanesque.

Dans Le Bureau des légendes, les carrières ne sont pas éternelles, le temps des employés est souvent compté, mais la dangerosit­é du monde demeure. Et c’est probableme­nt dans sa descriptio­n d’un contexte géopolitiq­ue plus instable que jamais que cette saison surprend le plus. En explorant le terrain politique russe de manière frontale (certains dialogues insistent sur le fait que la Russie n’est pas une démocratie) mais également lyrique par endroits, la série observe l’actualité droit dans les yeux. Entre réflexion sur les théories du complot, focalisati­on sur le piratage informatiq­ue et évocation de l’islamisme politique, Le Bureau des légendes persiste dans sa peinture sombre de l’époque. Pourtant, portée par une musique de Rob toujours plus sublime et par un vif appétit des citations artistique­s, la série sait toujours trouver in extremis une étincelle qui fait subsister l’espoir au moment où l’on pense que les ténèbres vont engloutir les personnage­s. Obsédée par la notion de vigilance, Le BDL fait des incertitud­es de ses héros le visage du monde contempora­in et transfigur­e mieux que personne les grandes secousses modernes.

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Gilles Cohen, Florence Loiret-Caille et Mathieu Amalric

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