THE SEVEN UPS
Si French Connection et la virtuosité de ses traques new-yorkaises (la plus ahurissante : Pontiac versus métro aérien) sont à jamais gravés dans les mémoires, on néglige trop souvent ses suites officielles et officieuses. L’officielle ? French Connection 2 de John Frankenheimer. Popeye Doyle (le personnage de Gene Hackman) erre en plein Marseille où sévit encore le baron de l’héroïne combattu dans le premier film. Les officieuses ? D’abord le dispensable Police Connection ( Badge 373 en VO). Robert Duvall campe Eddie Egan, superflic ayant servi de modèle à Popeye Doyle et changé ici en cador ouvertement raciste, empêtré dans une intrigue reprenant les clichés du film de flic des années 70. Mais surtout The Seven Ups, qui prolonge les aventures de Sonny Grosso, le partenaire d’Egan, joué par Roy Scheider, dans French Connection. Si cette suite implicite s’impose comme la plus brillante, c’est qu’elle ne se contente pas de surfer sur le succès du hit de William Friedkin. Elle en restitue l’esprit en reprenant ses meilleurs éléments et ses pivots essentiels. À commencer par Philip D’Antoni, heureux producteur du chef- d’oeuvre musclé de Friedkin. Soucieux de réaliser lui-même ce qui deviendra, il l’espère, l’ultime volet de sa grande trilogie policière et motorisée (avant French Connection, l’homme avait déjà produit Bullitt), il jette son dévolu sur un script d’Albert Rubens et Alexander Jacobs consacré aux Seven Ups, la troupe d’élite du NYPD dont faisait partie Sonny Grosso. Il fait rempiler Roy Scheider pour jouer son alter ego et confie la bande son au jazzman Don Ellis, dont les partitions déstructurées, bizarrement lointaines et glacées, étaient pour beaucoup dans la splendeur de l’esquisse urbaine de French Connection.
Mais qui sont les SevenUps, au juste ? Une escouade secrète dont les motivations exactes ne sont dévoilées qu’au mitan du récit : Roy Scheider rassemble ses collègues pour coffrer les mafieux en imitant leurs méthodes (intimidation, chantage et parfois meurtre). Le but étant de prendre de vitesse la justice institutionnelle, procédurière et donc trop lente, ainsi que les malfrats souvent volatilisés avant leurs procès. Bien sûr, nos flics de choc agissent à l’insu de leur hiérarchie et n’hésitent pas à enfreindre la loi – l’inspecteur Harry et les autres vigilante cops ne sont pas loin. Accélérer, brûler l’étape légale, doubler les bons comme les méchants : voilà les enjeux de ces justiciers hors-normes mais aussi de l’esthétique visée par The Seven Ups. Après l’exposition minutieuse du réseau affronté par les personnages, Philip D’Antoni prend un virage frénétique lorsque Roy Scheider amorce une mission désespérée pour sauver un camarade retenu par la mafia. S’ensuit une course-poursuite opératique et sidérante de précision à travers l’Upper West Side, réminiscence épique de French Connection. Rien ne manque : les tête-à-queue acrobatiques, les embardées impromptues et surtout la caméra embarquée, transformant l’écran en pare-brise prêt à voler en éclat à la première balle filante. Parce qu’il connaît la ville comme sa poche, Philip D’Antoni parvient à changer ces pistages effrénés en portrait concret, goudronneux et sanglant de Big Apple. C’est un monde où les frontières entre le juste et l’injuste sont abolies, où les pouvoirs publics protègent les criminels et où les flics lancés à leurs trousses finissent par leur ressembler. Peu importe la morale : seul triomphe celui qui ira plus vite que les autres. D’Antoni, lui, ne remportera pas les mêmes honneurs qu’avec ses deux précédentes productions, bien plus hautement acclamées par le public et la critique. Mais son premier (et unique) film lui aura permis de rattraper en esprit, avec énergie et brio, le furieux bolide piloté deux ans plus tôt par William Friedkin.