Première

IL ÉTAIT QUATRE FOIS À HOLLYWOOD

Huit décennies, une histoire, quatre films, avec plus ou moins de chansons, plus ou moins de génie. Tous les Une étoile est née en un clin d’oeil.

- PAR FRÉDÉRIC FOUBERT

RÉALISÉ PAR WILLIAM WELLMAN

Avec Janet Gaynor & Fredric March

Le contexte : C’est la fin des années 30, Selznick va bientôt produire Autant en emporte le vent, Hollywood règne sur l’imaginaire mondial. Le show-business devient un sujet de cinéma.

Trivia : La phrase « Toute ressemblan­ce avec des personnes réelles ne serait que pure coïncidenc­e », inscrite au début du film, était inhabituel­le à l’époque. Elle est bien sûr totalement mensongère (le film s’inspirait de la relation compliquée entre Barbara Stanwyck et son époux alcoolique Frank Fay). C’est bien ? Pour les puristes, le meilleur Une étoile est née. La version la plus épurée et cohérente du mythe. À voir en double programme avec : What Price Hollywood ? (George Cukor, 1932), qui raconte la même histoire.

RÉALISÉ PAR GEORGE CUKOR

Avec Judy Garland & James Mason

Le contexte : Au milieu des années 50, Hollywood fait face à la montée en puissance de la télé, c’est l’heure du Cinémascop­e, du Technicolo­r et des dépenses pharaoniqu­es. Une étoile est née 1954 se voit allouer l’un des plus gros budgets de tous les temps (pour l’époque).

Trivia : Mutilé par la Warner contre l’avis de Cukor, le film reste plein de trous, même dans son édition Blu-ray « définitive ».

C’est bien ? Un chefd’oeuvre, fleuve, épique, délirant d’ambition et déchirant de beauté. À voir en double

programme avec : New York, New York (Martin Scorsese, 1977), avec la fille de Judy Garland, Liza Minnelli. Scorsese s’était fait projeter le Cukor trois fois avant de se lancer dans le tournage de son propre musical.

RÉALISÉ PAR FRANK PIERSON

Avec Barbra Streisand & Kris Kristoffer­son

Le contexte : Depuis les sixties, les pop stars sont les nouveaux demi-dieux. L’intrigue ne se passe donc plus dans le monde du cinéma mais dans celui de la musique.

Trivia : Le film est écrit par Joan Didion et son époux John Gregory Dunne. Produit par Barbra Streisand et son mari

(et coiffeur) Jon Peters. Sans doute la raison pour laquelle la réplique finale sonne plus féministe que dans les deux versions précédente­s.

C’est bien ? Un peu déséquilib­ré. Streisand, fabuleuse, vole toutes les scènes et transforme le film en one-womanshow. Mais l’atmosphère hippie-chic a son charme. À voir en double

programme avec : Funny Girl ( William Wyler, 1968), le premier film de Streisand, déjà une variation sur

Une étoile est née.

RÉALISÉ PAR BRADLEY COOPER

Avec Lady Gaga & Bradley Cooper

Le contexte : Les stars brillent moins qu’avant, l’industrie musicale est exsangue, les réseaux sociaux font paniquer l’entertaine­ment mondial… Une étoile est née peut- elle encore faire rêver ?

Trivia : Pour les scènes de concert du film, Bradley Cooper a joué face à la foule du festival anglais de Glastonbur­y et emprunté pendant quatre minutes la scène de… Kris Kristoffer­son.

C’est bien ? Bradley Cooper corrige toutes les erreurs de la version de 76 et joue à fond la carte du mélo pop. Lady Gaga est rayonnante. Difficile de résister. À voir en double programme avec :

Honkytonk Man (Clint Eastwood, 1982), parce que Bradley Cooper semble y avoir trouvé sa dégaine de chanteur country décavé.

(« Scène 1. Fondu. Clair de lune. ») tiennent lieu de « Il était une fois ». La scène pivot du film est le moment où Norman Maine gâche le triomphe de Vicki Lester aux Oscars en faisant irruption sur scène et en s’humiliant devant le gotha. Soixante-douze ans avant que Kanye West ne ruine la soirée de Taylor Swift aux Video Music Awards. Les Oscars n’existent alors que depuis huit ans. Mais c’est comme si les lois d’airain du show-business étaient écrites. Les modes changeront, les moeurs aussi, les différente­s versions d’Une étoile est née se feront l’écho de ces transforma­tions successive­s (plus Cinémascop­e, plus rock, plus Gaga) mais certaines choses resteront immuables. À commencer par cette idée terrible que la gloire sera toujours associée à la douleur, la honte ou l’amertume. Le slogan de la version de 1937 résume les choses ainsi : « Un coeur brisé est le prix de la célébrité. »

À partir de 1954, l’effet miroir d’Une étoile est née va être accentué par les affects des actrices et des acteurs qui s’emparent de cette histoire. À chaque fois, les intéressés mettent tout leur star power dans la balance. La version de 1954 est à l’époque « marketée » comme le grand come-back de Judy Garland, qui ne s’est pas montrée depuis quatre ans sur un écran de cinéma. Les addictions à la drogue et à l’alcool, les pulsions suicidaire­s... Ce n’est pas du cinéma pour l’actrice du Magicien d’Oz, hantée par les démons, et qui a tenté de mettre fin à ses jours deux ans plus tôt. Mais le film sera un succès et la remettra en selle. En 1976, Une étoile est née devient le vanity project de Barbra Streisand, qui produit, joue, chante, compose, « supervise la conception musicale » (sic) et rend marteau le réalisateu­r Frank Pierson (qui, pour se venger, écrira un article à charge contre son actrice, publié un mois avant la sortie du film !). Les critiques ricanent mais le film cartonne, la BO aussi, et confirme le statut de superstar de la chanteuse, qui empoche un Oscar (de la meilleure chanson) au passage. Pendant ce temps, on demande

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Kris Kirstoffer­son et Barbra Streisand

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