Coffret Claude Berri ; The Seven Ups ; notules DVD
En voyant mes films, on pourra me connaître, savoir l’enfant, l’adolescent et l’homme que j’ai été », disait Claude Berri. Un coffret colossal (restauration totale, intégrale des films et deux disques de suppléments) permet de se confronter à ce qui ressemblait jusque-là à une affaire entendue. Claude Berri, c’était « le parrain », « l’empereur », « le pilier » du cinoche français. Un des producteurs les plus puissants, les plus populaires aussi et un cinéaste auteur de pagnolades célèbres. On a tous en tête Jean de Florette et Manon des sources, Germinal et Uranus, ses adaptations monstres, engagées et sentimentales, mais avant ça, il y a eu plus d’une dizaine d’autres films qu’on a un peu oubliés. Berri fut en fait un véritable auteur qui a illustré à la fois ses tourments et ses gouffres existentiels, mais aussi toutes les mutations du cinéma hexagonal. Le cinéma était sa vie, mais sa vie fut son cinéma. Et ce coffret donne l’occasion de pénétrer dans les arcanes d’une filmo volatile, qui passe du film intimiste sensible et autobiographique (ses perles des années 60) aux superproductions 80s ou aux autofictions amères et tardives. De quoi s’interroger : comment passe-t-on du « cinéma de papa » au statut de parrain ?
« Ce qu’il y a de plus beau, ce sont les débuts, il y a une innocence et une pureté qu’on ne retrouve jamais. » Pour Berri, tout commence dans les années 60 sur une erreur d’aiguillage. Fils d’un fourreur juif du faubourg Poissonnière, il est un acteur né, qui fait rire tout le quartier. Après un passage aussi rapide que raté dans la chanson, il s’essaie au théâtre, mais sa carrière est courte et il envisage une autre voie. En 1962, sous l’impulsion de ses potes de quartier, il réalise un court métrage humoristique sur un petit gamin qui s’attache à un poulet et, pour le protéger de la casserole, fait croire à ses parents qu’il pond des oeufs. Le Poulet (présent sur le disque de bonus) remporte l’Oscar du court et, pour Berri, la reconnaissance est immédiate. Il se met à frayer avec la Nouvelle Vague, joue pour Chabrol et propose un sujet en or à Godard qui lui conseille de le réaliser luimême. Ce sera son premier long, Le Vieil Homme et l’enfant (1967), qui raconte la relation entre un gamin juif et un vieux maréchaliste en pleine Occupation. Dans cette évocation de son enfance, il y a du Truffaut (l’école buissonnière, les quatre cents coups, le réalisme et l’humour), mais aussi le génie poétique de Michel Simon. Il y a surtout cette énergie vitale, ce refus de l’apitoiement devant les tragédies intimes et celles de l’Histoire, qui font la valeur du roman familial que Claude Berri s’apprête à écrire sous la forme d’une série de films flirtant avec l’autobiographie et l’autofiction. Suivront donc les études avec La Première Fois (1976), le mariage avec Mazel Tov ou le mariage (1969), le service militaire du Pistonné (1970) et les débuts professionnels avec Le Cinéma de papa (1971). C’est à peine romancé, il y a une qualité évidente de thérapie, mais aussi d’hommage aux morts, et la reconstitution minutieuse et amoureuse du temps de l’enfance, de la jeunesse et de l’entrée dans l’âge adulte est magnifique. Comme un Woody Allen avant la lettre, Berri marie l’introspection et l’autodérision, et pose un regard de moraliste parfois amusé, mais souvent désabusé. Mazel Tov, où il joue son propre rôle de Pierrot déphasé, surprend par son côté
BERRI NE SE COMPLAÎT PAS DANS LA DOULEUR MALGRÉ LA GRAVITÉ DE SON SUJET.
très documentaire (la dernière demi-heure sur le mariage est incroyable). Le Pistonné se conclut sur une image d’une tristesse déchirante. Mais le vrai chef-d’oeuvre de la période, c’est Le Cinéma de papa. Si on y suit les premières tentatives de Claude Berri pour faire du cinoche, c’est moins un film sur la création cinématographique qu’un dialogue posthume entre un père et son fils, heureux de pouvoir enfin s’exprimer mutuellement leur amour et d’avoir trouvé un terrain de complicité. Berri n’adopte jamais le registre de l’apitoiement, ne se complaît pas dans la douleur malgré la gravité de son sujet, mais dégage au contraire une énergie de survivant. Le film sera un échec qui va faire vaciller le cinéaste et le fils.
« Produire est une façon d’éviter de penser à soi-même. » C’est en grande partie pour arrêter son introspection que le petit juif lunaire et poétique se met à financer les autres. « Après le succès du Vieil Homme et l’enfant, l’échec du Cinéma de papa fut cruel. J’ai vu arriver les loups. » Les loups ? La critique, les problèmes personnels et le changement du cinéma français qui se standardise, s’industrialise (sous couvert de rationalisation) au début des années 70. C’est le moment où Berri se dissout, se fait consumer par l’amertume et la folie de l’époque. Ses films traduisent alors son mal-être. Ses autofictions deviennent nombrilistes et ne traitent plus que de ses errements d’adulte. La chair est triste dans Sex-shop (1972) et Le Mâle du siècle (1974) porte bien son nom (la perte de repère du couple et la mise en cause de la virilité dans un film à la schizophrénie consommée). Il souffle comme un vent de désillusion sur ces films. Il convoquait son enfance, la famille, la construction. Il ne filme plus que des êtres seuls ou en voie d’autodestruction... Parallèlement, il s’associe à Christian Fechner pour financer les comédies popu des Charlots et produit les pamphlets de Jean Yanne. Comme si l’auteur Berri était renié par le producteur. Compromission ? Stratégies ? Dans Le Cinéma de papa, le personnage d’Yves Robert ne cessait de répéter à son fils : « Il faut que tu sois celui qui donne les cartes. » Mais à quel prix ? Il faut attendre les années 80 pour que Berry cinéaste revienne à un cinéma plus apaisé. Celui-ci change à nouveau de visage. Les spectateurs désertent les salles, les VHS et la télé changent tout. La Nouvelle Vague est moribonde, et après les films de chambrée intimistes, c’est l’heure de la qualité France au budget pharaonique. Tess avait montré son flair de producteur. À partir du milieu des années 80, Tchao Pantin (1983) et ses deux Pagnol le consacrent comme un auteur populaire définitif. Si on ajoute le succès de ses productions (L’Ours et Valmont), Berri devient l’homme fort du cinéma français. Un parrain intouchable. Mais où est passé le tourbillon égotiste ? Le moraliste plein d’humour ? Le regard s’est figé. Il se cache derrière des fresques monumentales, derrière la richesse de production où affleurent la sentimentalité mélancolique (Manon des sources) ou la tristesse et la noirceur (Uranus, Germinal). Peut-être que dans ces longs, Berri n’a pas trouvé sa place. « Dans tous mes films personnels, je me suis mis en scène dans la peau du fils. C’est un rôle que j’ai longtemps traîné parce qu’il me convenait. Il faudrait bien qu’un jour je me décide à jouer le père, j’ai failli le faire dans Uranus, mais je n’étais pas prêt. » Ce ne sera plus le cas. Ses dernières oeuvres n’ont plus de figures paternelles. Le vieil homme est sans enfant. Mais peutil encore y avoir des pères incarnation de valeurs quand le cinéma se retrouve coincé entre les contraintes de prod et de diffusion ? Lorsque la liberté de créer se réduit, que les films ne sont plus que de belles vitrines dénuées de sens et que les cinéastes doués de regard se retrouvent relégués au rang d’accessoires ? Ce serait oublier que, au centre du cinéma de Berry, dans ses autofictions comme dans ses superproductions, il y a les bouleversements du coeur, la perte de contrôle, l’abandon de tout par amour et la remise en cause perpétuelle de ce que l’on est. Après quelques films en chambre, dont un très autofictionnel (La Débandade où il retrouvait le Claude des débuts), Berri est mort en 2009, juste après avoir commencé le tournage de son dernier long, Trésor. Comme pour affirmer que, jusqu’au bout, sa vie se sera déroulée sur un plateau.