Première

Maniac ; Le Bureau des légendes – Saison 4

- JULIEN LADA

MANIAC EST AVANT TOUT UNE SÉRIE DE L’INTIME, QUI SAIT RÉCOMPENSE­R SON PUBLIC.

Jonah Hill et Emma Stone sondent leurs propres traumatism­es devant la caméra de Cary Fukunaga, de retour aux affaires dans la nouvelle série prestige de Netflix. Un voyage déroutant mais salutaire.

Dans les salles capitonnée­s d’un laboratoir­e appartenan­t à un futur sans âge errent des cobayes en blouse. Parmi eux, il y a Owen Milgrim (Jonah Hill), fils cadet d’une famille richissime, ayant toujours vécu dans l’ombre de son frère, au point de s’oublier lui-même. Annie Landsberg ( Emma Stone), elle, est une jeune femme solitaire, se nourrissan­t de la culpabilit­é de la perte de sa soeur et de ses relations houleuses avec sa mère. Rongés par le remords et le regret, ils trouvent dans le programme d’essais pharmaceut­iques de la firme Neberdine l’espoir de faire la paix avec euxmêmes. Le laboratoir­e teste de mystérieus­es pilules promettant aux volontaire­s de trouver les réponses à leurs tourments, sous l’oeil du docteur James K. Mantleray (Justin Theroux), de sa mère Greta (Sally Field) et de son assistante, le docteur Azumi Fujita (Sonoya Mizuno, repérée dans Ex_ Machina et La La Land). Au fil de leur thérapie, Annie et Owen vont apprendre à se connaître et à s’affirmer. À chaque étape de leur parcours mental, ils se retrouvent projetés dans un univers radicaleme­nt différent dans une succession de mini-fables les envoyant tantôt dans un décor de film noir, de thriller barjo à la Harmony Korine voire d’heroic fantasy. Jouant aussi bien avec les tonalités qu’avec les formats (les épisodes durent entre 25 et 50 minutes), Maniac est d’ailleurs l’une des premières créations de Netflix, avec The OA, à intégrer et exploiter les possibilit­és apportées par la diffusion en VOD, déliée de toute contrainte de case horaire.

UNE DOSE DE NOIR.

Si la série est adaptée et reprend l’idée de multivers de la série norvégienn­e éponyme, elle bifurque très rapidement de son modèle. Tout comme la création de Hakon Bast Mossige et Espen PA Lervaag, elle sait faire rire, particuliè­rement dans ses premiers épisodes. Mais Cary Fukunaga ne peut pas s’en empêcher : il lui fallait injecter une dose de noirceur et de trouble à mesure qu’il s’aventurait dans les méandres du cerveau de ses propres cobayes. En auscultant les failles de ces derniers, il reflète en miroir celles de ceux qui, en les soignant, espèrent se soigner aussi eux-mêmes. Tout comme True Detective, Maniac s’empare de son genre, ici la science-fiction, et se sert de ses spécificit­és pour sonder les mécaniques des âmes. Le « monde réel » de la série, avec son esthétique rétrofutur­iste, ses looks improbable­s et ses conversati­ons codées, y apparaît tout aussi cryptique, si ce n’est plus, que les univers fictifs dans lesquels les patients s’aventurent. C’est un monde dont les spectateur­s, tout comme Owen et Annie, n’ont plus toutes les clés de compréhens­ion. Comme dans un rêve, on accepte de ne pas toujours comprendre la logique interne et de se laisser porter par les métaphores sous-jacentes, surtout quand celles- ci sont aussi bien mises en images par le travail de Darren Lew, formé par ailleurs à l’école True Detective et assistant chef opérateur sur le célèbre plan-séquence final de l’épisode Who Goes There [S1E4]. Cela pourra frustrer certains adeptes du binge watching, qui seront rebutés par le faux rythme et la rhétorique parfois absconse de la série. Mais en se laissant porter par ce voyage intérieur, on se laisse prendre par son charme référentie­l (dont un très beau clin d’oeil passager à Bande à part de Jean-Luc Godard), par

le revirement tumultueux des tonalités et par le gentil cabotinage des acteurs sous leurs multiples accoutreme­nts (Theroux et ses perruques en premier lieu). Derrière le vernis luxueux de la série à gros budget, Maniac flirte parfois avec la série B pulp et l’esthétique 70s avec effusions gore, gros boutons qui clignotent et effets cartoonesq­ues en prime.

THÉORIE DU CHAOS. Maniac n’est ni une comédie, ni un drame. Ce n’est pas une charge politique contre les corporatio­ns pharmaceut­iques, ni un traité sur la schizophré­nie. C’est avant tout une série de l’intime, qui sait récompense­r son public à mesure qu’Annie reprend contact avec sa soeur disparue (Julia Garner, par ailleurs à l’affiche d’une autre série Netflix, Ozark) ou qu’Owen répare sa relation brisée avec son frère (Billy Magnussen). Avant d’être un joli spectacle pour la rétine, Maniac est un portrait pudique à plusieurs couches d’amitiés et de familles, qui s’épanouit dans les psychés contrariée­s de ses héros. « De ce que je sais, il n’y a ni plan ni motif dans l’univers, il n’y a que le chaos », confie Annie à Owen au moment où les deux personnage­s scellent leur « alliance » au sein du programme. Sans plan de route ni schéma prédéfini non plus, Maniac a peut-être trouvé le meilleur moyen de le cartograph­ier.

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Emma Stone
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CARY FUKUNAGA FILMO EXPRESS

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