Maniac de Cary Fukunaga
New York, Roosevelt Island, novembre 2017. Sur cet îlot de l’East River battu par le vent automnal, Jonah Hill, alias Owen Milgrim, attend sur un banc, emmitouflé dans un imper noir qui semble le dévorer sur place. La mine cadavérique, le filet de voix neurasthénique, sa transformation physique impressionne. À côté de lui, Billy Magnussen (Into the Woods) parade dans sa tenue de scène, déjà dans la peau de son personnage. On comprend qu’il est le frère d’Owen, et que ce dernier est le seul à le voir. Leur conversation, cordiale, change rapidement de ton et se transforme en séance de brief loufoque d’une fausse série d’espionnage. Milgrim, héritier d’une dynastie d’industriels newyorkais, souffre en réalité d’un trouble mental apparenté à la schizophrénie. Vilain petit canard de la famille, il est envoyé par cette dernière dans un programme d’essais pharmaceutiques mystérieux à la suite d’une tentative de suicide. Sur place, il fait la connaissance d’Annie Landsberg (Emma Stone), jeune femme recluse souffrant de ses relations complexes avec sa mère et sa soeur. Par chance, le programme dirigé par le docteur James K. Mantleray (Justin Theroux) leur promet une solution miracle sous la forme de mystérieuses petites pilules. Sauf que l’on comprend bien vite que les soignants ont autant de problèmes à résoudre que les patients... Si l’humour ne manque pas dans cette adaptation d’une minisérie comique norvégienne du même nom, la noirceur et la mélancolie sous-jacentes de la série américaine s’éloignent rapidement de l’esprit de l’originale, dont elle reprend néanmoins la dynamique des univers intérieurs fantaisistes, les moyens en plus. Mais en en discutant avec Cary Fukunaga, showrunner et réalisateur des dix épisodes de la série, on comprend vite ce qui l’a attiré dans le projet, une cartographie de l’esprit humain par le biais du genre, ici la science-fiction : « Le rétro-futurisme permet d’aborder des choses familières, de faire un pas de côté pour les regarder autrement. En les amplifiant, on peut mettre en lumière des angles morts. Il n’y a qu’à voir la manière dont on communique aujourd’hui :
« LE RÉTROFUTURISME PERMET D’ABORDER DES CHOSES FAMILIÈRES, DE FAIRE UN PAS DE CÔTÉ POUR LES REGARDER AUTREMENT. » CARY FUKUNAGA, SHOWRUNNER
il n’y a rien de cinématique dans nos iPhone, Skype et Facetime. Ce choix nous a permis d’éliminer ce type de facteurs. » La communication est le terme clé sur lequel se construit Maniac, notamment grâce à ses deux héros à la fois inséparables et constamment séparés, complices sans jamais trop savoir quelle est la nature de leur relation. « Lorsque vous associez deux acteurs de ce calibre [Jonah Hill et Emma Stone], les gens arrivent avec leurs idées romantiques préconçues. C’était important de rappeler que ce n’est pas le seul type de connexion humaine qui ait du sens. Quand vous devenez adulte, vos amis et les gens proches de vous peuvent avoir plus de valeur que votre famille. C’était important de creuser cette amitié jusqu’au point le plus profond. » Des mots qui s’appliquent aussi bien au tandem Annie-Owen qu’à celui formé par Rust Cohle et Martin Hart dans la première saison de True Detective, réalisé par Cary Fukunaga, deux versions antinomiques de la figure du flic, dont le lien organique rythmait la série plus encore que leur enquête. Comme pour toute dystopie futuriste, chaque spectateur trouvera ses références dans Maniac. Mais elle n’en reste pas moins une série marquée de l’empreinte Fukunaga et de son exigence.
À deux, c’est mieux
En quelques minutes passées sur le plateau à le voir travailler sur la mise au point d’un grain de maïs (un plan finalement coupé au montage), on retrouve déjà le perfectionnisme du cinéaste, qui s’était imposé comme le nouveau chouchou de l’écurie HBO le temps d’un plan-séquence virtuose (le final de l’épisode 4 de True Detective, saison 1) qui lui vaudra à lui seul un Emmy Award. Entre deux prises, Jonah Hill explique en quoi la série l’a convaincu de s’engager dans Maniac : « Cary aborde tout avec l’esprit d’un réalisateur. Il prend le meilleur des deux formats. Quand il est arrivé avec True Detective, tout le monde a halluciné simplement en voyant le nom de Matthew McConaughey au casting. Aujourd’hui, combien d’autres veulent l’imiter ? » Après une saison qui a cimenté son aura critique, il laisse derrière lui huit épisodes mémorables, mais aussi des prises de bec répétées avec Nic Pizzolatto, qui lui réserva une revanche grinçante dans un caméo dévastateur dans la saison 2. Derrière lui aussi, l’aventure avortée de Ça, qu’il quittera trois semaines avant le tournage, remplacé par Andrés Muschietti. De son projet fantôme, il reste une flopée de suppositions, mais aussi la réputation exagérée d’un artiste intransigeant et pas forcément facile à gérer. Sa planche de salut s’appellera Netflix. Avec Beasts of No Nation, il devient le premier cinéaste à réaliser un film de fiction pour la plateforme de streaming, qui cherche déjà à l’époque à s’imposer comme un nouvel acteur de la production hollywoodienne. Fukunaga, lui, trouve un cadre de production dans lequel il peut porter sa double casquette d’auteur-réalisateur avec les mains libres. Pour Maniac, il n’est cependant pas tout seul sur la phase d’écriture puisqu’il s’est adjoint les services de Patrick Somerville, qui a participé à celles de The Bridge et surtout de The Leftovers – dont l’ombre plane au-dessus de Maniac outre la présence de Justin Theroux. Cette fois-ci, cependant, pas de nuage à l’horizon : « Cary et moi étions constamment en train de discuter dans la writing room au cours de l’écriture des dix épisodes. On était dans une dynamique de collaboration, comme deux écrivains, confie Somerville. À l’origine, l’intrigue tournait essentiellement autour des deux héros. Mais on s’est très vite rendu compte qu’on s’intéressait autant à de nombreux aspects périphériques que l’on a intégrés par la suite. » Après plusieurs années de rendez-vous manqués, Cary Fukunaga savoure enfin ce réalignement des astres. « La série ne serait pas ce qu’elle est sans notre association avec Patrick. On a tous les deux creusé dans nos expériences personnelles et nos histoires familiales. Ce n’est pas une question de contrôle, mais une vraie dynamique de collaboration. » Difficile à vivre, vous avez dit ?
MANIAC Créée par Cary Fukunaga & Patrick Somerville • Avec Emma Stone, Jonah Hill, Justin Theroux... • Sur Netflix • Critique page 118
« ON ÉTAIT DANS UNE DYNAMIQUE DE COLLABORATION, COMME DEUX ÉCRIVAINS. » PATRICK SOMERVILLE, COSCÉNARISTE